La compétition automobile n’est pas qu’une affaire de voitures et de pilotes. Il s’agit d’une activité plus complexe, et bien souvent sous-tendue par des enjeux financiers et de stratégie industrielle.
Pendant les années 50-70, si certains concurrents étaient ce qu’on appelait des « gentlemen drivers », pilotes amateurs et propriétaires de leur propre voiture, ils devaient malgré tout s’entourer d’une équipe d’accompagnement, constituée de professionnels ou de bénévoles, pour assurer le travail dans les stands (ravitaillement, pneumatiques, mécanique, etc.), mais également pour gérer tous les aspects administratifs et logistiques (inscriptions, assurances, transport, etc.). Parfois, il arrivait que de l’aide soit fournie de manière ponctuelle par des concessionnaires. Hormis de tels cas, la plupart des concurrents aux grandes épreuves d’endurance s’engageaient avec le support d’une écurie.
Une écurie de course agit en quelque sorte comme le point d’encrage nécessaire entre trois entités que sont, d’une part les organisateurs des épreuves, d’autre part les pilotes et enfin les propriétaires des voitures engagées. Pour ces derniers, soit il s’agit des pilotes eux-mêmes, soit il s’agit directement des constructeurs, soit encore ce sont les écuries qui mettent à disposition des véhicules. Un quatrième élément peut intervenir avec les sponsors. Ceux-ci vont essentiellement intervenir comme bailleurs de fonds en échange d’une notoriété via la publicité. Au cours des années, cet aspect n’a fait que croître au point de devenir quasiment le « nerf de la guerre ».
Il convient enfin de préciser que, pour un certain nombre de cas, la mission ira souvent au-delà en intégrant tout un travail de préparation des voitures afin de les optimiser techniquement vis à vis des contraintes de chacune des épreuves. Cela peut aller de retouches au niveau de l’aérodynamique, des châssis, ou des trains roulants, jusqu’à l’optimisation des moteurs, etc.
Pendant la période qui nous intéresse, les constructeurs engageaient souvent eux-même leurs voitures et disposaient en parallèle d’une organisation spécifique pour la compétition. Pour n’en citer que les plus emblématiques, on retiendra bien évidemment la célèbre Scuderia Ferrari ou encore Porsche AG, mais les autres marques avaient toutes plus ou moins leur département compétition, que ce soit chez Aston Martin, Jaguar, Mercedes, etc. Toutefois, à l’exception de Ferrari et de Porsche, ces départements avaient une durée de vie assez éphémère au sein de l’entreprise car les constructeurs ne voulaient pas (ou ne pouvaient pas) toujours se maintenir ad vitam aeternam dans la compétition, laquelle était une activité très coûteuse.
Dans d’autres cas, les constructeurs déléguaient ce rôle à leurs concessionnaires ou encore à des filiales. Ce fut le cas par exemple de Porsche Salzburg qui a été un acteur important dans l’ascension de de la marque avec les 917. Pour Ferrari on pourrait également citer le NART de l’importateur américain Luigi Chinetti. Même chose avec Alfa Romeo et Autodelta. Les exemples de ce type sont nombreux durant la période qui nous intéresse ici.
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Venons en maintenant aux grandes écuries privées qui ont marqué cette période des « trente glorieuses » de la compétition automobile d’endurance, entre le début des années 50 et la fin des années 70. Je n’ai bien évidemment pas la prétention de les citer toutes car elles sont innombrables, je ne me contenterai donc de n’évoquer que celles dont les noms apparaissent le plus souvent dans les palmarès des grandes épreuves de l’époque.
Les années 50
De l’immédiat après-guerre jusqu’à la fin des années 50, les participations aux courses d’endurance étaient avant tout l’affaire des constructeurs, lesquels alignaient plusieurs voitures et nouaient des contrats d’exclusivité avec un certain nombre de pilotes, en général parmi les plus réputés.
Il suffit par exemple d’examiner les classements des épreuves des 24 h du Mans de l’époque pour voir les grands noms tels que Jaguar, Aston Martin, Ferrari, Porsche, Daimler-Benz et autres Fiat, Maserati, Osca, Alfa Romeo, Stanguellini, Lancia, Lotus, Cooper, Jowett, Healey, Bristol Aeroplane, Allard, Frazer-Nash, et j’en oublie. Côté français, de nombreux constructeurs s’alignaient dans les catégories des petites cylindrées avec Talbot, René Bonnet, Panhard, Gordini, Monopole, Renault et bien d’autres encore.
En nombre quasiment équivalent, les autres participants étaient des indépendants venus avec leurs propres voitures auxquelles ils avaient éventuellement apporté des modifications. En regard avec ce qu’est devenue la compétition d’endurance par la suite, il faut noter que cette période était très ouverte à toutes sortes d’initiatives et que les règlements étaient encore assez souples. C’est parfois parmi tous ces pilotes indépendants que de grands noms ont émergé pour devenir pilotes en titre dans les équipes des constructeurs sinon pour fonder ou rejoindre des écuries.
Entre ces deux populations très différentes, les écuries de course étaient encore peu nombreuses et avaient parfois des durées de vie éphémères. Parmi celles qui ont vraiment marqué cette période des années 50 j’ai retenu les suivantes.
Ecurie Ecosse : David Murray (1909-1973), ancien pilote et homme d’affaires écossais, propriétaire d’un garage automobile, décide en 1952 de créer l’Ecurie Ecosse avec son chef mécanicien et deux de ses clients, également pilotes. Après des débuts plutôt décevants en formule 1, Murray et ses associés décident d’acquérir des Jaguar et de les engager dans les épreuves du championnat britannique. Fort de quelques bons résultats, l’écurie Ecosse est présente en 1956 au Mans avec une type D qui remportera l’épreuve au nez et à la barbe de deux autres Jaguar de l’ENB et de Jaguar cars Ltd, lesquelles ne se contentèrent respectivement que des 4ème et 6ème places.
En 1957, Jaguar cars Ltd s’étant retiré de la compétition, ce sont les écuries qui représentèrent la marque et l’écurie Ecosse s’est une nouvelle fois imposée en remportant les deux premières places au Mans, suivie de deux autres type D des écuries Los Amigos et Nationale Belge. L’année suivante, des Jaguar de l’écurie ont continué à fréquenter les épreuves d’endurance mais avec des résultats nettement moins bons face à la montée en puissance des Aston Martin, Ferrari, Lotus, Porsche, etc.
Conjointement David Murray commença à diversifier son parc de voitures en engageant des Cooper, des Austin Healey, des Tojeiro, etc. L’écurie Ecosse mettra fin à son activité en 1971. Les fidèles pilotes de l’écurie étaient Ron Flockhart, Ninian Sanderson, John Lawrence et Yvor Bueb puis Masten Gregory, Innes Ireland et d’autres que j’oublie peut-être. Enfin les voitures de l’écurie Ecosse se reconnaissaient aisément avec leur livrée d’un joli bleu profond agrémentée de bandes transversales blanches.
Francorchamps et Equipe Nationale Belge : Durant cette période féconde d’après-guerre, la Belgique faisait partie des nations très actives dans la compétition automobile avec de nombreux pilotes de renom. Johnny Claes (1919-1956), gentleman driver et musicien de jazz émérite, a commencé dès 1947 à participer aux grands prix de F1 sur Talbot. L’année suivante il va créer l’Ecurie Belge avec les mécaniciens Bianchi père et fils. Entouré de pilotes tels que Paul Frère, André Pilette, Jacques Swaters, Pierre Stasse, etc. l’écurie s’illustra quelque peu jusqu’en 1955, aussi bien en F1 qu’en rallye ou même au Mans.
Parallèlement, Jacques Swaters (1926-2010) et trois autres pilotes vont créer l’Ecurie Belgique en 1951. Après une année d’intense activité mais sans résultat significatif, Swaters et De Tornaco vont fonder en 1952 l’Ecurie Francorchamps étroitement liée à Ferrari en F1. Celle-ci va fonctionner sans grand succès jusqu’en 1954, période à laquelle Swaters va fusionner avec l’Ecurie Belge de son ami Claes. Ceci donnera naissance à l’Ecurie Nationale Belge. Jusqu’en 1962, cette écurie a réussi à faire émerger de nombreux pilotes parmi les meilleurs du moment (Gendebien, Mairesse, Pilette, Beurlys, De Changy, les frères Bianchi, etc.) mais hélas sans aligner de résultats probants en F1.
Pendant ce temps, L’Ecurie Francorchamps était restée indépendante et ne se consacrait qu’aux épreuves de sport, avec d’ailleurs un certain succès. De son côté Swaters se désintéressant de la F1, il continua à piloter en catégorie sport, tantôt sous bannière de l’ENB tantôt sous celle de Francorchamps dont il finit par devenir directeur de course. Cette dernière s’est imposée par la suite comme une référence incontournable jusqu’au début des années 80, signant ainsi de nombreux podiums.
La couleur majoritaire de ces différentes écuries était le jaune, soit en livrée intégrale, soit par la suite sous forme de bandes sur des carrosseries gris métal. Pour quelques détails supplémentaires sur Jacques Swaters et son écurie Francorchamps, cet article le résume assez bien avec quelques illustrations intéressantes.
Cunningham : J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce personnage hors du commun qu’était Briggs Cunningham (1907-2003). Sportif accompli de haut niveau, il s’est largement impliqué dans la compétition automobile durant les années 50 et même au-delà, autant comme pilote que comme patron d’écurie.
L’objectif de Cunningham était de gagner un jour au Mans. Après avoir tenté d’y engager deux Cadillac en 1950, il se lança dans la construction de ses propres voitures, lesquelles se sont rapidement imposées mais sans toutefois atteindre le but qu’il s’était fixé. Il décide alors de mettre fin à la construction de voiture de course pour se recentrer sur le management de son écurie.
A partir de 1956, les voitures de Briggs Cunningham ont continué à être présentes sur les circuits mais il s’agissait cette fois-ci de Chevrolet, de Jaguar, de Maserati, de Ferrari ou de Porsche dont il était devenu, pour certaines de ces marques, distributeur officiel.
L’écurie enregistra pas mal de bons résultats avec les Chevrolet Corvette et les Jaguar type D ou E. On peut considérer Cunningham comme l’un des acteurs majeurs de la compétition automobile des années 50, et même au-delà puisque son écurie n’arrêta son activité que vers la fin des années 60.
Non content de diriger son écurie de compétition, Cunningham s’engageait assez souvent comme pilote. Outre ses fidèles John Fitch, Phil Walters et William Spear il a su attirer par ailleurs bien d’autres pilotes parmi les meilleurs du moment (Gurney, Moss, Hansgen, Grossman, Shelby, Salvadori, etc.). Les voitures de l’écurie Cunningham avaient la particularité d’être dotée d’une livrée blanche avec deux bandes longitudinales bleues.
Pour terminer avec ce rapide panorama, il faut savoir que bien d’autres écuries ont fleuri durant cette décade mais, pour la plupart, il s’agissait de structures plus ou moins éphémères ou opportunistes. On a ainsi pu voir des voitures engagées sous le nom d’un seul pilote comme par exemple Duncan Hamilton alors que Jaguar Ltd abandonnait la compétition et qu’il continua à faire courir des type-D pendant quelques temps en parallèle avec l’écurie Ecosse.
De même on peut citer l’éphémère écurie Los Amigos de Jean Lucas qui a inscrit à quelques reprises des voitures au Mans dont une Jaguar type D qui a terminé 3ème en 1957. Moins anecdotique, une écurie David Brown Racing est apparue au début des années 50, ce qui semble n’être ni plus ni moins qu’un bras armé d’Aston Martin dès lors que les voitures de la marque n’étaient plus engagées directement sous le nom de la maison mère.
Enfin, toujours au Royaume Uni, et plus précisément en Ecosse, Il convient de citer l’écurie Border Reivers qui s’est souvent illustrée durant les années 50 jusqu’au tout début des années 60 avec des Lotus, des Lister, des Cooper et enfin des Aston Martin. Parmi ses pilotes attitrés se trouvait un certain Jim Clark. Outre de bonnes prestations dans des épreuves nationales, l’une de ses meilleurs résultats fût une 3ème place au Mans en 1960.
On pourrait citer encore bien d’autres organisations de ce type et en particulier d’origine française. En effet, autour des constructeurs tels que Panhard, Simca, Renault, Peugeot, il existait des petites structures, voire simplement des petits ateliers de mécanique, qui produisaient des prototypes optimisés, souvent de faible cylindrée, mais qui se montraient souvent parmi les plus performants au classement de l’indice énergétique des 24 h du Mans. Sans pouvoir les qualifier d’écuries de course, il s’agissait plus ou moins des services compétition décentralisés des marques. On pourra citer par exemple Deutsch-Bonnet, Monopole, Gordini, etc. dont certains ont eu une vie au-delà de cette période comme préparateurs.
Les années 60
Cette décennie a marqué le début d’un très fort développement de la compétition d’endurance avec de plus en plus d’épreuves, de plus en plus de concurrents et l’émergence de nouveau constructeurs pour venir porter la contradiction aux grands majors qu’étaient toujours Ferrari, Jaguar, Aston Martin et Porsche.
C’est la période pendant laquelle l’Amérique entre en scène hors de ses frontières avec Shelby, Ford et Chapparal. En Europe, c’est l’émergence de la nouvelle génération que j’ai déjà évoquée avec Cooper, Lotus et Lola mais également en France avec les pionniers qu’étaient Bonnet, CD, Alpine ou Matra.
Si Porsche et Ferrari continuent à garder la main sur les engagements, cela n’empêche pas que leurs voitures sont également présentes au travers d’écuries partenaires.
De leur côté, les engagements personnels de pilotes sont moins nombreux car cela nécessite de mobiliser conjointement des ressources dont tous ne disposent pas forcément. Ainsi donc, les années 60 seront celles de l’avènement massif des écuries privées que nous allons tenter de détailler dans ce qui suit.
Enfin, il convient de citer ce que l’on pourrait appeler les « préparateurs » dont le rôle est de proposer des voitures spécifiques sur la base de modèles existants mais qui assuraient conjointement le management sportif en compétition. A titre d’exemple on peu parler de Abarth qui a joué ce rôle pour Fiat, mais également de Autodelta qui l’a également joué pour Alfa Romeo avant d’en devenir une filiale, et peut-être d’autres encore…
Parmi les écuries de la précédente décade, aussi bien Cunningham, avec entre autres des Corvette des Jaguar, des Maserati, etc., que l’ENB/Francorchamps avec le plus souvent des Ferrari, ont continué à œuvrer durant les années 60. Pour sa part l’écurie Ecosse n’a vraiment été active qu’en début de période.
Dans ce qui suit, je vais tenter de faire l’inventaire des principales écuries, avec quelques focus sur les plus emblématiques, et en rendant hommage aux personnalités qui en ont été à l’origine.
North American Racing Team : Pilote d’origine italienne, Luigi Chinetti (1901-1994) a pu se prévaloir d’un très beau palmarès en compétition d’endurance de 1932 à 1957, d’abord sur Alfa Romeo, puis sur Talbo-Lago et enfin sur Ferrari (Le Mans, Spa, Sebring, Carrera Panamericana, Monte Carlo, etc.). En 1939 il part s’installer aux Etats-Unis dont il en obtiendra la nationalité en 1950.
A la fin de la guerre, il reprend contact avec Enzo Ferrari et va le soutenir dans le projet de reprise de la construction de voitures de sport. Il va alors développer toute son énergie pour faire connaître la marque en Amérique et en devenir le premier importateur. C’est ainsi qu’il réussit à vendre les premières Ferrari à quelques américains fortunés mais aussi à des pilotes réputés tels que Briggs Cunningham ou Phill Hill. La suite fût un succès pour la marque au cheval cabré.
En 1958, avec le soutien de deux pilotes fortunés, Chinetti va créer le NART, une écurie de course 100% Ferrari. Ainsi il engagea régulièrement des voitures sous sa bannière dans les épreuves d’endurance du championnat du monde des constructeurs. Par la suite, les couleurs du NART ont brillé en remportant plusieurs podiums emblématiques parmi lesquelles Bridgehampton, Mosport, Road America, Sebring, Daytona, Le Mans, Paris, Reims, etc.
Luigi Chinetti a également su s’associer à de grands pilotes tels que Phil Hill, Mario Andretti, les frères Rodriguez, Masten Gregory, Jochen Rindt, Jean Guichet, Ed Hugus, etc. La victoire la plus emblématique est celle d’une 250 LM au Mans en 1965 pilotée par l’équipage Rindt, Gregory, Hugus, victoire qui fût la dernière de Ferrari au Mans. Après plus de 200 participations, le NART a mis fin à la compétition en 1982.
Enfin, lorsque Enzo Ferrari rechignait à faire évoluer certains modèles, Chinetti s’arrangeait pour convaincre le Commendatore de lui laisser l’initiative. C’est ainsi que, sous son impulsion, est née la version « competizionne » de la Ferrari 365 GTB Daytona qui a remporté à plusieurs reprise la victoire en catégorie GT au Mans.
La Scuderia Filipinetti : Diplomate, homme d’affaires, gentleman, mécène, autant de qualificatifs que l’on pourrait attribuer à Georges Filipinetti, ce genevois passionné de voitures de courses et concessionnaire de plusieurs marques de prestige, dont Ferrari.
En 1962 il va créer l’Ecurie Nationale Suisse mais dont il dût changer le nom pour ne pas empiéter sur l’automobile club de Suisse.
Soucieuse de conserver son indépendance, l’écurie Filipinetti sera largement présente dans toutes les épreuves d’endurance, locales ou internationales, et avec des voitures de diverses marques, dont bien évidemment beaucoup de Ferrari, mais également des Porsche, des Alfa-Romeo, des Chevrolet Corvette, des Ford GT40, des Lola, etc.
Mais, pour Georges Filipinetti, l’essentiel c’était les pilotes à qui il voulait fournir le meilleur afin qu’ils puissent se concentrer uniquement sur leur art. Parmi ces pilotes, il a été le promoteur de deux de ses compatriotes que sont Joseph Siffert et Herbert Müller. Mais il faut noter que, dans la galaxie Filipinetti, se trouvaient également de grands noms tels que Jo Bonnier, Nino Vacarella, Willy Mairesse, Mike Parkes etc.
Surtout présente dans les épreuves d’endurance, l’écurie l’a également été en F1 en 1962-63 avec des Lotus et des Porsche. Au Mans, les voitures rouges et blanches ont été omniprésentes et leur meilleur résultat fût en 1967 en remportant l’épreuve en catégorie GT avec une Ferrari 275 GTB. On retrouvera l’écurie Filipinetti durant le début des années 70 jusqu’en 1973 à la mort de son fondateur alors âgé de 66 ans.
Maranello Concessionnaires : Ronnie Hoare était officier d’artillerie de l’armée britannique, d’où le surnom de « The Colonel » qui lui a été attribué par la suite. Très tôt passionné de course automobile durant les années 30, il abandonne l’armée après la guerre pour se consacrer à nouveau à l’automobile en dirigeant une concession Ford. Après une tentative peu convaincante de création d’une écurie de Formule-2 vers la fin des années 50, il vise plus haut en s’intéressant à l’endurance et sa rencontre avec Enzo Ferrari va être décisive.
Ce dernier va en effet lui confier le soin de devenir l’importateur de la marque en Grande Bretagne, laquelle n’était jusque-là représentée que de manière anecdotique par le biais du pilote Mike Hawthorn. Enzo Ferrari voyait là l’opportunité d’entrer sur un marché qui lui était encore assez fermé.
C’est ainsi qu’est née en 1960, avec ce curieux nom à consonance franco-italienne, la société « Maranello Concessionnaires ». Mais comme les ambitions du « Colonel » dépassaient le seul fait de vendre quelques voitures pour ses compatriotes fortunés, il s’associa avec l’écurie Endeavour de son ami Tommy Sopwith pour créer dans la foulée une écurie de compétition et commença à engager des voitures dans des épreuves du championnat britannique, puis petit à petit au niveau international.
il fût aidé en cela, d’une part par Ferrari qui prêtait des voitures et fournissait du support technique, et d’autre part avec des pilotes de talent tels que Mike Parkes, John Surtees ou Jack Sears. Le succès fut à la hauteur avec de nombreuses victoires en catégorie GT, y compris une seconde place au Tourist Trophy de Goodwood. Les années suivantes n’ont fait que le confirmer, que ce soit à Brands Hatch, à Paris, au Mans, à Reims, etc. et avec les participations de Hill, Bonnier, Scarfiotti, Attwood, Pike, Courage, et quelques autres.
Parmi les résultats les plus marquants au Mans il faut noter une seconde place au général en 1964 avec une 330P pilotée par Hill et Bonnier et la 1ère place en GT en 1966 avec une 275 GTB. L’aventure s’est ainsi prolongée jusqu’en 1968. Les voitures de l’écurie se reconnaissaient par leur livrée rouge et bleue pâle frappée de l’union-jack.
John Wyer Automotive Engineering : Citoyen britannique, John Wyer (1909-1989) était ingénieur dans l’automobile. Après avoir commencé sa carrière chez Sunbeam puis chez Solex et Monaco Motors, David Brown (qui venait de racheter Aston Martin) lui fait appel en 1950 pour diriger l’équipe qui sera chargée de l’entrée en compétition aux côtés de Reg Parnell. Il contribua ainsi à la montée en puissance d’Aston Martin jusqu’au triomphe du Mans en 1959. Il devînt alors Directeur Général de la marque jusqu’à ce que David Brown décide d’arrêter la compétition.
C’est alors que Ford l’engage pour diriger l’équipe qui va être chargée du projet FAV destiné à concevoir la GT-40, en association avec Eric Broadley de Lola Cars. Suite à la déroute au Mans en 1965, Ford confie à Caroll Shelby la suite du programme et remercie Wyer, lequel va alors se rapprocher du pétrolier Gulf pour créer sa propre société JWA avec l’homme d’affaire John Willment. Sur la base de GT-40 Mk1, JWA va la faire évoluer vers un nouveau modèle dénommé « Mirage » et entrer à son tour dans la compétition avec succès puisque Mirage se placera d’entrée en 4ème position du classement du championnat 1967.
En 1968, la réglementation mettant hors compétition les GT-40, Wyer va reprendre et optimiser des anciennes Mk1 afin de les engager dans le championnat. Ce fût un succès puisque, avec les victoires à Brands Hatch, Monza, Spa, Watkins Glen, Zeltweg et au Mans, Ford remporte le titre mondial grâce à JWA, lequel gagnera à nouveau au Mans en 69. Les pilotes qui se sont ralliés à JWA durant cette période étaient Ickx, Redman, Olivier, Hawkins, Hoobs, Bianchi et Rodriguez. A partir de 1970, John Wyer va se tourner vers Porsche et ses 917, nous en reparlerons un peu plus loin dans le chapitre consacré aux années 70.
John Wyer est très certainement l’un des personnages clef de la période. Visionnaire, pugnace, rigoureux, exigeant, il n’était pas en revanche un grand communicant, au point qu’on a pu dire de lui qu’il était « l’homme qui ne sourit jamais ». Il se retirera de la compétition en 1976 et décédera en 1989.
Du fait de son association avec Gulf, les voitures de l’écurie JWA portaient une livrée bleue pâle et orange.
Après ces quatre « monuments » de l’époque, il convient de ne pas oublier de nombreuses autres écuries de course qui ont marqué ces années 60. Pour rester en Europe et plus précisément en Italie, on peu citer au moins les équipes suivantes :
La Scuderia Serenissima : autrement appelée SSS Republica di Venezia. Propriété du Compte Volpi de Venise, elle a été un temps parmi les meilleurs clients de Ferrari jusqu’à ce que Carlo Chiti et Giotto Bizzarini, alors en plein développement de qui allait devenir la GTO, quittent Ferrari pour fonder leur propre société sous les auspice du comte Volpi, lequel finira par devenir, pendant une courte période, constructeur de ses propres voitures. Ceci étant, la Serenissima a fait courir des voitures d’autres marques parmi lesquelles Maserati, De Tomaso, Porsche, etc. La voiture la plus emblématique de l’écurie est certainement la fameuse et unique GTO « breadvan ».
La Scuderia Sant’Ambroeus : Située à Milan, cette écurie a été régulièrement présente et essentiellement avec des Alfa Romeo, qu’il s’agisse de modèle TI, SZ, TZ, TZ2, etc. De la proximité avec l’usine Alfa à Milan, il est possible, sinon probable, que cette écurie ait été, sans le dire, le département compétition décentralisé d’Alfa Romeo durant cette période compliquée de la marque, laquelle s’appuyait par ailleurs sur AutoDelta.
Autodelta : Fondée par Carlo Chiti et Ludovico Chizzola, cette société n’est pas vraiment une écurie de course mais, par le fait, elle l’a été plus ou moins pour le compte d’Alfa Romeo. En effet, pendant une première période, Autodelta se présentait plutôt comme un préparateur/constructeur de voitures de courses sur des bases d’Alfa Romeo qu’il engageait sous son nom en compétition.
Abarth : Comme Autodelta, la société de Carlo Abarth est davantage un préparateur de voitures de compétition et essentiellement sur des bases de Fiat. Ceci étant, durant les années 60, de telles voitures étaient engagées sous le nom de la Scuderia Abarth et pas sous celui de la société Fiat.
Au Royaume Uni, entre Maranello Concessionnaires ou John Wyer Automotive dont on vient de parler, et l’écurie Ecosse en perte de vitesse, quelques petites écuries ont tenté de s’immiscer mais pas toujours avec succès, face aux constructeurs d’une part et aux grandes écuries d’autre part.
Ceci étant il convient tout de même de citer Alan Mann Racing. Citoyen britannique, Alan Mann a commencé sa carrière professionnelle comme vendeur de voitures et en particulier de Ford dont il devînt un agent attitré. Il a eu également une brève carrière en tant que pilote. Dès le début des années 60, il se fait connaître par les succès enregistrés avec des Ford Cortina GT ou encore avec celui de la Ford Falcon qu’il avait préparée pour le Rallye de Monte Carlo en 1964 où elle termina en seconde position. Par la suite, AMR s’est fortement impliqué dans la montée en puissance des Shelby Cobra Daytona puis des Ford GT-40. Les voitures de l’écurie AMR se reconnaissaient à leur livrée rouge avec deux bandes or.
Mais les années 60, c’est également la période où les américains, ne se suffisant plus de leurs championnats locaux (SCCA, CanAm, etc), commencèrent à s’engager dans les compétitions au niveau international avec Shelby, Ford, Chevrolet, Chapparal, etc. Par ailleurs, parallèlement aux écuries dont nous avons déjà parlé avec Shelby American et Cunningham, de nouvelles sont apparues sur les circuits internationaux. A défaut de les citer toutes, on pourra noter les suivantes :
Holman-Moody : Cette société de construction automobile était surtout connue aux Etats-Unis durant les années 50 où elle fournissait des voitures de course pour les épreuves des championnats locaux. C’est à partir du milieu des années 60 qu’elle se constitua en écurie de course et en particulier avec des Ford GT-40. En 1966, l’écurie engagea 3 voitures au Mans dont une qui termina à la 3ème place.
Essex Wire Racing Team : Cette société de fabrique de câbles, dont Ford était le principal client, s’est également dotée d’une écurie de course dans laquelle étaient engagées des Cobra Shelby puis des Ford GT-40. Il semblerait qu’elle n’ait eu qu’une durée de vie limitée à celle des GT-40.
Mecom Racing Team : Héritier d’un groupe pétrolier du Texas, John Mecom Jr a constitué une écurie relativement importante de 1960 à 1967. Une des principales caractéristiques de cette écurie résidait dans le fait que, contrairement à beaucoup d’autres, elle engageait toutes sortes de marques de voitures (Chevrolet, Ford, Lola, Ferrari, etc.). La Mecom Racing Team a été présente dans plusieurs épreuves du WSC mais elle s’est surtout illustrée dans les championnats américains SCCA, CanAm, etc. Les voiture étaient habillées de bleu métallisé agrémenté de bandes blanches.
Camoradi : Vers le milieu des années 50, Lloyd Casner (dit « Lucky ») était un pilote reconnu aux Etats-Unis avant de créer sa propre écurie (Casner Motor Racing Division). Il commença à faire courir des Porsche RSK puis s’intéressa tout particulièrement à la marque Maserati, laquelle revenait en compétition avec ses Tipo-61. Dès lors, à partir de 1960, Casner engagea ses voitures dans les épreuves du championnat du monde des constructeurs. Personnage charismatique, il a su attirer un certain nombre de pilotes de renom tels que Moss, Gurney, Shelby, Gregory, Bonnier, etc. Parmi les podiums prestigieux que l’écurie a remportés, il faut noter deux victoire consécutives au Nurbürgring en 60 (Moss-Gurney) et en 61 (Casner-Gregory). Lloyd Casner trouva la mort en 65 au Mans lors d’une séance d’essais d’une nouvelle Maserati, il n’avait que 36 ans.
Enfin, En France, le concessionnaire Porsche Sonauto a joué un rôle important en jouant le rôle d’écurie pour les voitures de la marque. Durant cette période, de nombreuses Porsche de tous modèles étaient inscrites au Mans sous la bannière d’Auguste Veuillet avant de l’être durant la décade suivante sous celle de Sonauto. Parmi les pilotes qui ont couru pour le compte de cette écurie on notera les noms de Ligier, Chasseuil, Ballot-Lena, Buchet, Noblet, etc.
Les années 70
Cette décennie est une période charnière pour la compétition d’endurance automobile et ceci à plusieurs titres :
- Ce sera déjà la dernière de la Scuderia Ferrari en endurance, avec les 512-S en début de période, puis les 312-PB pour les derniers tours de piste. La Scuderia va se consacrer par la suite exclusivement à la F1.
- C’est ensuite l’omniprésence de Porsche qui saura verrouiller les choses en dirigeant en sous-main les écuries « amies », chose que n’aura pas su faire Ferrari.
- Mais c’est aussi les coups d’éclat (ou de génie) de Matra puis d’Alfa Romeo chacun avec son écurie « maison ».
- C’est également la présence toujours aussi solide des grandes écuries des années 60 avec principalement NART, Francorchamps et Filipinetti.
- Mais on n’oubliera pas la forte influence de John Wyer Automotive, associé à Gulf, qui sera le préparateur décisif pour Porsche et ses 917, ce qu’il aurait pu être pour Ford et sa GT-40, mais qui réussira par ailleurs à imposer ses modèles « Mirage ».
- Enfin, ce sera la décennie qui va voir l’entrée en force des sponsors de toute nature, lesquels ne vont plus se contenter d’apparaître discrètement le long des pistes, dans les stands ou dans les paddocks, mais qui vont envahir sans vergogne les carrosseries des voitures au point qu’elles finiront par ressembler à des panneaux publicitaires ambulants…
Dans ce contexte vont apparaître de nouvelles écuries, certaines de manière opportune dans le sillage des constructeurs et d’autres à l’initiatives d’anciens pilotes qui, profitant de leur expérience, vont continuer à créer ces liens nécessaires entre pilotes et constructeurs.
Martini Racing : Exemple même de sponsoring décomplexé, le fabricant d’apéritif va devenir l’un des multiples bras armés de Porsche durant toutes les années 70, en parallèle avec Porsche AG Salzbourg et JWA. Sous les couleurs chatoyantes de l’équipe, les Porsche de la série 90x et 917 puis des 936 vont remporter de nombreuses épreuves. L’écurie parrainera plus tard Lancia puis s’invitera aussi en catégorie Rallye.
Gulf Racing : Autre exemple de sponsoring assumé, le pétrolier texan Gulf avait déjà mis sa marque dans l’entreprise de John Wyer durant la seconde moitié des années 60. Les voitures Bleu & Orange ont continué à porter haut et fort les couleurs de leur sponsor mais toujours dans le prolongement de JWA.
Gitane : Le cigarettier français n’a pas été en reste puisqu’il sera le sponsor principal de Matra avant de devenir celui de Ligier, puis de Alpine et de Renault en rallye.
La domination de Porsche durant cette période a créé une dynamique outre-Rhin en donnant en quelque sorte des ailes aux écuries allemandes. Outre Martini, JWA et Salzbourg qui étaient labellisées par le constructeur, des Porsche ont couru sous d’autres bannières parmi les suivantes, lesquelles assuraient aussi un rôle non négligeable de préparateur :
Gelo Racing Team : Pilote reconnu dès la fin des années 60, George Loos va créer sa propre écurie en 1970 où il engagea une Ferrari 512-S et gagna même à Zolder. Par la suite, il fît surtout courir des Porsche et en particulier avec des pilotes tels que Rolf Stommelen, Tim Schenken, Jürgen Barth, Gijs van Lennep, Bob Wolleck, Klaus Ludwig etc. L’écurie de George Loos peut se prévaloir d’un palmarès tout à fait remarquable durant cette décennie.
Kremer Racing : Créée par les frères Erwin et Manfred Kremer en 1962, cette écurie a également été un acteur important des années 70, amenant même une victoire au 24 h du Mans en 1979. Parmi les pilotes régulièrement engagés on peut noter des noms tels que Willi Kauhsen, John Fitzpatrick, Clemens Schickentanz, Klaus Ludwig, etc.
Willi Kauhsen Racing Team : Pilote reconnu, depuis le milieu des années 60 sur des Fiat Abarth puis des Porsche, Willi Kauhsen s’est fait remarquer au volant de Porsche 917 et entre autres sous la bannière du MRT et de Kremer, avant de créer sa propre écurie en 1972 où il continua à faire courir des Porsche puis de s’occuper des Alfa Romeo TT-33 qu’il mena à la victoire au Championnat du Monde des constructeurs en 1975.
Enfin, pour mémoire, il convient de signaler le Joest Racing Team qui fût créé par Reinhold Joest en 1978 et qui s’est très largement illustré durant les décennies suivantes, avec en particulier 13 victoires aux 24 h du Mans.
Ailleurs en Europe ou aux Etats-Unis il faut également noter un certain nombre d’écuries ou de préparateurs qui ne sont pas non plus passées inaperçus :
Penske Racing : Fondée par Roger Penske, célèbre pilote américain des années 60, c’est certainement l’une des plus prestigieuse écuries de course automobile d’outre atlantique où elle s’est très souvent imposée dans les championnats américains SCCA, CanAm, Imsa, etc. Durant les années 70, c’est en préparant des versions améliorées, et parfois survitaminées, de Ferrari 512-M et de Porsche 917 que Penske Racing, en association avec le pétrolier Sunoco, s’est fait connaître plus largement sur la scène internationale, mais aussi et surtout en championnat CanAm auquel Ferrari tout comme Porsche ne s’intéressaient pas beaucoup.
Escuderia Montjuïc : Fondée à la fin des années 60 par un groupe d’entrepreneurs catalans, cette écurie reprend le nom du célèbre circuit sur les hauteurs de Barcelone. Elle a été présente durant pratiquement toutes les années 70 avec diverses voitures (Ford, Porsche, Ferrari, etc.). La Escuderia Montjuïc a été parrainée pendant de nombreuses années par la société Tergal. Les voitures arboraient une carrosserie jaune et verte.
On pourra également citer des écuries ou des préparateurs un peu moins connus mais malgré tout présents pendant plusieurs années durant cette période. Parmi ceux-ci on notera la petite écurie de André Wicky, garagiste de Lausanne qui fît courir pas mal de Porsche. On peut également citer David Piper qui, bien qu’étant surtout un pilote émérite, a engagé à plusieurs reprise des voitures sous sa bannière. De même, en France, Charles Pozzi a été l’un des principaux représentants de Ferrari avec les célèbres 365 GTB Daytona grâce auxquelles l’écurie a remporté par deux fois le titre en GT au Mans en 72 et 73.
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Arrivé à ce stade, je mesure une fois de plus l’ampleur de la tâche que je m’étais imprudemment fixée, et je reste donc sur un forte impression d’inachevé. En effet, au fur et à mesure de mon travail de documentation, je me suis rendu compte qu’il était illusoire de vouloir être exhaustif dans ce domaine du fait de l’extraordinaire foisonnement d’initiatives qui a marqué cette période des années 50-70. Par conséquent, soyez indulgent et surtout n’hésitez pas à me faire part de vos remarques et de vos suggestions.
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Cet article, est le 4ème d’une série consacrée à la compétition automobile d’endurance des années 50-70. Contrairement aux articles précédents qui étaient focalisés sur les voitures elles-mêmes, ceux-ci s’intéressent davantage à tout ce qui a gravité autour et en orientant les projecteurs sur les personnages qui ont été les acteurs de cette aventure. Pour mémoire les précédents articles se sont intéressés :
- aux industriels fondateurs des grandes marques qui ont marqué la période,
- à la jeune garde britannique des Cooper, Lotus, Lola, Lister, etc.
- aux American Sixties avec Cunningham, Shelby, Hall, etc.