Oui, s’il vous plaît, réveillez-moi et dites-moi que cela n’était qu’un mauvais rêve, que dis-je, un terrible cauchemar… et que c’est fini maintenant.
Dites-moi que mercredi prochain je vais retrouver « les beaufs », « le grand Duduche », « L’adjudant Kronenbourg », etc. avec la chronique hebdomadaire de Cabu dans le Canard Enchaîné qui va m’attendre dans ma boîte aux lettres.
Dites-moi que le kiosque à journaux du coin affichera, comme chaque semaine, une nouvelle « une » de Charlie Hebdo, toujours aussi percutante et provoc, avec un dessin de Charb, de Tignous ou de leurs copains.
Dites-moi aussi que rien ne s’est passé du côté de la porte de Vincennes, que tout ceci n’était que le making-off du tournage d’un mauvais polar à deux balles. Dites-moi enfin que ces flics abattus comme des chiens, c’était « juste pour de faux ».
En revanche, ne me dites pas que la seconde partie de ce rêve n’était qu’illusion. Non, s’il vous plaît ne me dites pas que ce vaste élan de solidarité humaine n’était pas vrai, que tous ces gens qui défilaient n’étaient que les figurants d’une grande fresque épique.
Finalement, je vous rassure, ce n’est pas la peine de me réveiller, je le suis hélas bel et bien depuis ce jour terrible de mercredi dernier où je suis resté anéanti, broyé, devant mon téléviseur où, une fois n’est pas coutume, j’avais décidé de regarder le journal de 13 h. Ce jour-là, et les suivants, je n’ai pas cessé de regarder la TV ou d’écouter la radio, jusqu’à l’épuisement mental et les larmes sans cesse au bord des paupières, à la fois de chagrin vis à vis des symboles qui ont été attaqués (liberté de penser, diversité culturelle et religieuse, sécurité, etc.) mais également d’émotion intense devant cette formidable ferveur solidaire exprimé par les différents rassemblements de samedi et de dimanche.
S’agissant de Charlie Hebdo, je ne vais faire le fanfaron en prétendant que j’en étais un fidèle lecteur.
D’ailleurs qui, parmi les multiples porteurs du slogan « Je suis Charlie », ont lu, ne serait-ce qu’une fois, un article de cet hebdomadaire, sans parler de l’avoir acheté ?
D’ailleurs, si tel avait été le cas, ce journal n’aurait pas été au bord du dépôt de bilan comme il l’est aujourd’hui.
Non, si j’ai été un lecteur occasionnel de Charlie Hebdo durant ma jeunesse, je ne l’ai plus été depuis pas mal de temps. Toutefois, je continue à jeter régulièrement un œil aux « unes » du journal lorsque je passe devant le kiosque de mon quartier et, même si je suis parfois outré par l’impertinence (le mot est parfois faible) du propos, cela m’a toujours fait beaucoup rire.
Parmi ceux qui ont été sauvagement assassinés, Cabu, l’éternel ado de 76 berges, est sans conteste celui pour qui j’avais le plus d’admiration. Ses dessins étaient tous percutants mais toujours empreints d’une rare humanité, pour preuve cette une mémorable où Mahomet est effondré en disant qu’il est « dur d’être aimé par des cons ».
Cette terrible semaine nous laisse certes ravagés, anéantis et angoissés mais, a contrario, on peut se dire que, peut-être (je dis bien peut-être) « A quelque-chose malheur est bon » ou encore comme le disait un des proches « Il n’y a pas de tant pis sans tant mieux ».
En effet, ce pays que l’on disait peuplé de dépressifs chroniques, d’incapables, de repliés sur eux-mêmes, d’égoïstes, de fainéants, voire même de pleutres ou de fachos en puissance… a donné une toute autre image à la face du Monde et ceci était vraiment très émouvant. A ceux qui déploraient que plus personne ne connaissait la Marseillaise, il faut leur montrer ces foules constituées de personnes de tous âges, de toutes origines, la chanter spontanément, sans une hésitation, et avec ferveur. S’il s’agit d’un chant guerrier, personne ne s’y est trompé, cela s’appliquait parfaitement à la situation qui n’est autre qu’une guerre contre l’obscurantisme, la bêtise, le racisme, l’antisémitisme.
D’autres part, ces Français un peu paranoïaques, qui pouvaient croire que tout le monde leur en voulait, ont pu se rendre compte que la solidarité d’énormément de pays n’était pas un vain mot en dépit du fait que quelques-uns dans les rangs ne sont pas forcément de grands démocrates respectueux des droits de l’homme et entres autres de la liberté de la presse. De même, après des années de bipolarisation politique, cela faisait chaud au cœur de voir les responsables de tous les partis, ou presque… côte à côte pour dénoncer unanimement les mêmes ignominies sans arrière-pensées… pour une fois.
Ceci étant, la grande interrogation qui se pose maintenant est de savoir si tout ceci ne sera pas qu’un simple feu de paille. Le jeu politique ne va-t-il pas retrouver ses vieux démons avec ses habituels affrontements de principes et ses polémiques stériles ? Saura-t-on comprendre ce qui mène des jeunes à ce genre de dérive ? Donnera-t-on aux services chargés de notre sécurité les moyens d’agir en profondeur pour prévenir l’irréparable ? Saura-t-on comprendre que l’éducation est la clef de tout et qu’il faut également ici donner les moyens ? Saura-t-on enfin comprendre qu’il est inutile de hurler contre l’immigration mais en revanche de faire ce qu’il faut pour la gérer avec des visions de long terme sans tomber dans un angélisme béat.
De leur côté, les dirigeants des pays, hier solidaires avec la France et les Français, ne vont-ils pas continuer à mener leur gouvernance comme auparavant après s’être donné bonne conscience le temps d’une journée à Paris ? L’Europe avec un grand « E » saura-t-elle enfin prendre des décisions fortes et structurantes autres que les éternelles réglementations budgétaires ou normalisatrices sur tout et n’importe quoi ?
Pour leur part, la presse et les médias sauront-ils regagner la dignité qui leur incombe en cessant de chercher à tout prix le scoop qui fait l’audimat ou encore à arrêter de faire monter la mayonnaise ou de jeter de l’huile sur le feu pour initier ou amplifier des polémiques inutiles.
Enfin, et cela me paraît plus essentiel que tout, il va falloir que les leaders des grandes religions se retroussent les manches et expliquent une bonne fois pour toute à leurs fidèles qu’il est non seulement inutile, mais aussi criminel parfois, de laisser se développer toutes les dérives sectaires qui mènent à ce que nous constatons. Ceci s’applique à tout le monde religieux sans exception et pas seulement à l’islam.
Pour finir, je souhaite que Charlie s’en sorte et de préférence avec l’aide de ses confrères, de ses lecteurs, de donateurs anonymes plutôt qu’avec une aide de l’état. Il faut que Charlie vive et progresse en conservant sa totale indépendance, sa liberté d’expression, son impertinence et cet esprit si particulier et indéfinissable qui le caractérise et qu’il serait dommage que cela se dissolve.
Lorsque j’ai « mis en berne » ce blog mercredi soir, j’étais sous le coup de la stupeur mais je n’imaginais pas que tout ceci prendrait un tour encore plus dramatique avec l’odieuse prise d’otage de la porte de Vincennes.
Je n’imaginais pas non plus cette stupéfiante réaction du peuple et l’apothéose de dimanche.
Encore un peu sonné, KO debout, j’ai un immense espoir mais également une anxiété au fond du cœur à propos de l’avenir qui s’offre maintenant à nous. Saurons-nous relever le défi ?
Le plus dur est encore, hélas, devant nous…
Désolé, je ne me relis pas… Cela va mieux maintenant, j’attends vos commentaires.