Après un premier article consacré aux industriels fondateurs des grandes marques qui ont brillé en compétition depuis l’après-guerre jusqu’à la fin des années 70, ce second volet est consacré à ces « jeunes » entrepreneurs britanniques qui se sont invités dans la cour des grands en fondant leurs propres marques, dont certaines ont même survécu jusqu’à nos jours.
Bien évidemment, comme pour l’article précédent, je ne vise pas du tout l’exhaustivité. Je ne me bornerai donc qu’à évoquer les personnages dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans mes dossiers sur les voitures de légendes, tout en évoquant quelques autres, parmi leurs compatriotes, avec qui ils se sont affrontés sur les circuits.
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Les pionniers
Dans l’immédiat après-guerre, l’industrie automobile britannique se remet petit à petit en route. Ils sont alors quelques-uns, d’à peine plus de 20 ans et plein d’enthousiasme, qui comptent bien participer à ce nouvel essor dans le sillage des grandes marques, et faire valoir leurs talents. Des compétitions sont à nouveau organisées, que ce soit à Silverstone, Aintree, Brands-Hatch ou Goodwood, et le jeu est suffisamment ouvert pour laisser la place à toutes les initiatives.
Il est à noter que, pour la plupart, ces jeunes entrepreneurs ne se sont essentiellement consacrés qu’à la construction de châssis et pas du tout aux motorisations. Pour cela ils faisaient appel aux nombreux motoristes que comptait alors le Royaume-Uni (MG, Bristol, Climax, Cosworth, etc.) et même aux leaders qu’étaient Aston Martin et Jaguar.
John Cooper : Né en 1923 dans la banlieue de Londres, il était le fils de Charles Cooper, un modeste garagiste spécialisé dans l’entretien de voitures de sport.
A 15 ans John Cooper devient apprenti outilleur et travaille pour la Royal Air Force. A la fin de la guerre, avec son meilleur ami Eric Brandon, ils construisent une voiture de course à partir d’éléments disparates et d’un moteur de moto qu’ils ont eu l’idée de placer derrière le siège du conducteur (par facilité pour la transmission directe par chaîne sur le train arrière). Cette voiture remportant un franc succès dans les courses locales, une seconde fût construite et, face à l’engouement, Charles et son fils décidèrent de créer la société « Cooper Car Company » en 1948.
A partir de ce moment une petite série de 12 voitures fût commercialisée et, parmi les premiers acheteurs, se trouvait un certain Stirling Moss. Ce fût le début d’une formidable expansion avec sans cesse de nouveaux modèles, motorisés selon le besoin par des moteurs Bristol, Jaguar, Climax, etc. Les petites monoplaces de Cooper, légères, performantes et bon marché étaient les voitures de prédilection pour tous les apprentis pilotes de l’époque.
Vers la fin des années 50, un nouveau cap est franchi avec l’entrée de Cooper dans la Formule 1, et toujours avec le moteur en position centrale arrière, ce qui était considéré comme une hérésie par les leaders qu’étaient Ferrari ou Maserati avec leur moteur à l’avant. Des pilotes comme Salvadori, Moss, Brabham, Mac-Laren ou Trintignant ont contribué à mener les Cooper dans la cour des grands jusqu’à la victoire au championnat du monde en 1959 et en 1960.
A partir de 1961 les Lotus, BRM et Ferrari entrent dans le jeu, avec cette fois-ci leur moteur placé à l’arrière, et les Cooper se font hélas de plus en plus rares sur les podiums. Faute de moyens financiers suffisants, La Cooper Car Company a été vite dépassée mais, avec son caractère toujours positif, John n’a pas voulu relever les quelques ingratitudes dont il a fait l’objet dont il aurait pu tenir rigueur à leurs auteurs, lui qui avait ouvert une nouvelle ère pour la F1.
Enfin on ne peut pas passer sous silence le travail effectué sur les fameuses Austin Mini dont Cooper a su en faire de véritables bêtes de course, lesquelles se sont illustrées avec fracas en rallye et en particulier à Monte-Carlo avec 4 victoires consécutives. Les « Mini Cooper » ont indéniablement marqué leur époque et même encore aujourd’hui, alors que la marque est passée sous le contrôle de BMW.
Petit à petit John Cooper s’est retiré des affaires, mais sans jamais se désintéresser de sa passion initiale qu’était l’automobile. Il est mort à l’âge de 77 ans, la veille de Noël de l’an 2000, laissant le souvenir d’une personne entreprenante, audacieuse, bourrée d’imagination, attachante et dotée d’une très grande gentillesse.
Colin Chapman : Né en 1928, Colin Chapman a débuté en bricolant des Austin Seven afin d’en faire des voitures de course pour les compétitions de club anglais.
Ingénieur de formation, Chapman se lança très tôt dans la construction automobile en créant son entreprise « Lotus Cars » en 1952. Après trois premiers prototypes construits dès la fin des années 40, la production s’est rapidement mise en place durant toutes les années 50 avec une succession de modèles de voitures de sport dotées de diverses motorisations externes (Ford, MG, Bristol, Climax, etc.).
Certains modèles ont commencé à être produits en petite série afin de viabiliser l’entreprise, dont les célèbres Mk6 et Lotus XI à moteur Climax, cette dernière ayant été omniprésente dans les compétitions nationales anglaises mais aussi dans les épreuves des challenges américains ou du championnat du monde des constructeurs pour le titre dans la catégorie des petites cylindrées.
Mais les deux autres axes de développement de Colin Chapman furent, d’une part la Formule 1, et d’autre part la production de voiture de série à vocation routière avec, entre autres les gammes Elite, Elan, Europa, etc. qui lui permirent de dégager du cash pour financer le volet compétition.
En F1, Lotus s’est assez vite imposé comme le leader face à son compatriote John Cooper auquel il a emprunté le concept innovant de moteur en position centrale arrière, et ceci bien avant que la concurrence en fasse de même et que cela ne devienne la norme. Après les deux titres de Champion du monde décrochés par des Cooper-Climax en 59 et 60, Chapman accédait enfin au Graal en remportant à son tour le titre en 1963 avec son ami Jim Clark. C’était le début d’une assez large domination puisque, de 1963 à 1978, Lotus remporta à 7 reprises le titre avec le concours de quelques grands pilotes tels que Jim Clark, Graham Hill, Jochen Rindt, Emerson Fittipaldi, Mario Andretti, etc.
D’un caractère réputé difficile (il terrorisait parfois son entourage par des colères épiques) il n’en était pas moins le génial inventeur de nombreux concepts mécaniques qui ont marqué durablement la technique automobile. Son credo n’était pas la puissance moteur pour gagner mais la légèreté des structures, ce qui a été un atout majeur pour ses voitures, en dépit toutefois d’une certaine fragilité.
Colin Chapman est décédé prématurément en 1982 alors qu’il n’avait que 54 ans. Suite à une sombre affaire avec le constructeur américain De Lorean, la société a été rachetée par General Motors, puis changea encore deux fois de propriétaire et se trouve dorénavant sous le contrôle d’un grand groupe chinois.
Eric Broadley : Egalement né en 1928, et initialement destiné à une carrière d’architecte, Eric Broadley s’est très vite intéressé à la course automobile de club, laquelle se développait beaucoup en Angleterre en ce début des années 50. Avec son cousin, il s’adonnait en amateur à la mécanique en construisant une voiture sur les bases d’une Austin Seven et d’un moteur Ford.
Après quelques résultats encourageants sur circuit, il décide de créer un modèle à part entière, la Mk1, qui devînt une sérieuse concurrente pour les Lotus. Les commandes commençant à affluer, il créera alors sa propre société « Lola Cars » en 1958.
Eric Broadley ayant su séduire les meilleurs talents d’ingénieurs pour les associer à son aventure (Tony Southgate, John Barnard, Patrick Head), la société Lola est vite devenue une référence dans le petit monde de la compétition automobile d’outre-Manche. Bien qu’étant peu attiré par les monoplaces, Broadley lança malgré tout plusieurs projets de constructions dans ce domaine, dont une F1 qui s’illustra aux mains de John Surtees durant la saison 62 avec une honorable 4ème place dans un contexte où la compétition était dominée par Lotus, Cooper et BRM.
En fait, Eric Broadley visait plutôt le championnat du monde des voitures de sport et les challenges américains (SCCA ou CanAm). A cet effet il lança la construction de la Mk6 qui, à défaut d’avoir vraiment brillé, va servir de base à Ford pour la GT-40. Puis ce fût l’extraordinaire T70, l’une des voitures les plus emblématiques des années 60, qui était en mesure d’inquiéter Ferrari et dont il est question dans cet article.
Visionnaire, intuitif, déterminé et soucieux de son indépendance, Eric Broadley est certainement un de ceux qui ont le plus marqué la compétition automobile, de l’après-guerre jusqu’au milieu des années 80. Il était avant tout un constructeur plus qu’un compétiteur, se cantonnant à produire des châssis innovants, efficaces et capables de recevoir des motorisations à la demande. Moins de vingt ans après ses débuts, Lola pouvait déjà se prévaloir de la production de plus de 1000 voitures de course et être ainsi le premier constructeur mondial dans ce domaine spécifique.
L’aventure continua jusqu’au milieu des années 90 où, suite à des erreurs tactiques, Eric Broadley fût contraint à la faillite et à vendre ce qui restait de sa société, laquelle perdurera encore jusqu’en 2012.
Il mourra en 2017 à l’âge de 88 ans. Le nom de Broadley continue toutefois au travers de son fils Andrew lequel, ayant acquis les plans, les moules originaux, et différents éléments de Lola Cars lors de la faillite de 1998, construit dorénavant des répliques des voitures imaginées par son génial de père.
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Les outsiders
Comme nous l’avons vu dans un précédent article, des industriels contribuèrent à la renaissance de Jaguar et Aston Martin et par ailleurs, comme nous venons de le voir, des Cooper, Chapman ou Broadley apportaient un sang neuf en fabricant des châssis très performants et en proposant des solutions techniques innovantes.
Sur ce terreau favorable et dans l’enthousiasme entrepreneurial de l’époque, de nombreux petits artisans, voire autodidactes, se sont lancés dans la compétition automobile. Etant sûr que je ne pourrai jamais les citer tous, j’ai choisis d’en évoquer brièvement deux qui ont joué les outsiders dans le domaine des voitures de sport.
Brian Lister : Né en 1926, il était le fils d’un petit industriel de Cambridge et, en dehors de son activité d’apprenti dans l’entreprise familiale, il s’adonnait un peu à la course automobile.
En observant ce qui se passait autour de lui, il eut l’idée de s’en inspirer en convaincant son père de réaliser un châssis tubulaire selon ses spécifications et de l’équiper d’un moteur MG puis d’un Bristol. C’est à son ami écossais Archie Scott Brown (tous les deux sur l’image ci-contre) qu’il va confier la voiture sur les circuits.
Réussissant à remporter la victoire de sa classe à Silverstone en 1954, les modèles se succédèrent en améliorant à chaque fois le châssis et l’aérodynamique de la carrosserie, tout en alternant les motorisations. C’est ainsi que les Lister ont adopté aussi bien des moteurs Maserati que Climax ou Jaguar, voire même Chevrolet pour les clients américains qui commençaient à s’intéresser à ces voitures, en alternative aux Cooper et Lotus.
Les Lister Jaguar (ou Chevrolet) ont été le point culminant de la marque en remportant, dès 1957, des épreuves réputées au nez et à la barbe des Jaguar et des Ferrari, et parfois même des invincibles Aston Martin. En 1958, la voiture s’améliore avec le modèle emblématique « knobbly », lequel continua à bousculer les grands leaders avec toujours Archie Brown au volant, mais également avec Stirling Moss ou le jeune américain Masten Gregory.
Soucieux de gagner en aérodynamique, Brian Lister engage l’ingénieur Franck Costin, réputé pour ses talents dans le domaine. Hélas, dévasté par le décès accidentel de son ami Archie, Brian Lister s’en remet difficilement et prend alors de la distance avec la compétition automobile, laissant la direction sportive à Franck Costin. Ce dernier remodela fortement la voiture pour la saison 59, laquelle sous le nom de Lister-Costin, équipée de moteurs Jaguar ou Chevrolet, n’a hélas pas pu faire face à la concurrence. Manquant à la fois de motivation et de moyens financiers, Brian Lister finira par jeter l’éponge.
Décédé en 2014 à l’âge de 88 ans, Brian Lister aura eu la satisfaction de revoir son nom dans le monde l’automobile. En effet, la société Lister Cars réapparaîtra en 1986. Elle fabrique à nouveau des voitures de sport, y compris des répliques des célèbres Lister Knobbly de 1958 pour des clients nostalgiques des fifties.
John Tojeiro : Né en 1923 d’un père portugais et d’une mère anglaise, John Tojeiro a suivi des études d’ingénieur et a commencé sa carrière dans l’armée de l’air britannique durant la guerre. A l’issue de celle-ci, tout comme Cooper, Chapman, Lister ou Broadley, il s’intéressa à l’automobile.
En 1951, avec son jeune confrère et voisin Bryan Lister ils collaborent pour construire une voiture faite de bric et de broc et dénommée Tojeiro-JAP.
« Toj » comme il fût surnommé, se fît rapidement un nom dans le domaine de par ses talents de concepteur de châssis légers et innovants qu’il équipait de moteurs Jaguar, Bristol, Climax ou Buick. A l’occasion, il ne manquait pas non plus de faire appel à l’incontournable Franck Costin pour peaufiner l’aérodynamique de ses bolides.
Les voitures de John Tojeiro se sont essentiellement illustrées au sein de la fameuse écurie Ecosse en donnant la réplique, durant toutes les années 50, aux Jaguar, Cooper, Lister, Lotus etc. et ceci jusqu’au milieu des années 60. Parmi ses différentes réalisations, il faut noter une des toutes premières voitures de sport à moteur central, à la même époque où son confrère Eric Broadley construisait sa fameuse Mk6.
Enfin, John Tojeiro est également connu pour avoir été le designer du modèle « Ace » de la firme AC, modèle qui va servir un peu plus tard de base à un certain Caroll Shelby pour réaliser sa célébrissime Cobra.
John Tojeiro est décédé en 2005 à l’âge de 82 ans.
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C’est avec un peu de frustration et une vague impression d’inachevé que je termine cet article. En effet, j’ai la certitude de n’avoir fait que survoler le sujet tant la dynamique qui s’était installée outre-manche était grande et les talents nombreux et brillants.
Il aurait en effet certainement fallu parler aussi de ceux qui ont œuvré, dans des marques telles que Austin-Healey, Morgan, Triumph, Allard, MG, Sunbeam et d’autres que j’oublie ou même dont j’ignore l’existence.
Pour conclure avec ce panorama partiel, on peut dire que cette jeune garde d’après-guerre a majoritairement contribué à l’art de fabriquer des châssis légers, dynamiques et astucieux permettant de valoriser au meilleur niveau des motorisations pas forcément toujours très puissantes. Tout ceci peut être résumé dans ces deux citations de Colin Chapman :
- Light is Right (Ce qui est léger est bien)
- Adding power makes you faster on the straights. Subtracting weight makes you faster everywhere (Ajouter de la puissance vous rend plus rapide en ligne droite. Enlever du poids vous rend plus rapide partout)
On verra que ces principes ont largement fait école par la suite chez les concurrents, qu’ils soient européens ou américains.
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Pour terminer en images, je vous propose ci-dessous une petite galerie de photos des voitures sorties de l’imagination des géniaux designers dont je viens de parler.
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Pour qui voudrait en savoir davantage, je propose déjà de se reporter aux différents articles que j’ai publiés dans ce blog et dont vous en retrouverez la liste, ainsi que les résumés pour chacun, dans ce récapitulatif.
D’une manière générale, Wikipedia est une bonne source d’informations concernant tous ces personnages. Vous y trouverez ainsi les pages correspondantes à John Cooper, Colin Chapman, Eric Broadley, John Tojeiro.
Toutefois, j’ai dû en puiser d’autres dans quelques sites parmi lesquels les suivants qui méritent d’être signalés :
- Pour Colin Chapman le site de Motorsport.
- Pour Bryan Lister les sites de 24heures.fr, du Telegraph, de Motorsport mag et surtout de l’excellent Retromotiv.
- Pour Eric Broadley les sites de Classic Course et de Lola Heritage.
Très intéressant.