Lundi dernier, France-5 diffusait un intéressant téléfilm biographique sur Albert Camus. Plus précisément, il s’agissait d’une chronique des 10 dernières années de sa vie, avant le tragique accident qui l’emporta le 4 janvier 1960 à l’âge de 47 ans sur une route de l’Yonne (1).
Ce téléfilm de 2009 a été en partie inspiré par la biographie écrite par Olivier Todd en 1996, laquelle est une référence en la matière parmi les différents ouvrages dédiés à Albert Camus. C’est à mon sens la plus complète et la plus intransigeante, dans la mesure où tout y est abordé, sans faux semblants, sur la nature de cet homme d’une rare intelligence, brillant mais également complexe et torturé. Ses engagements, ses forces, mais également ses faiblesses, ses doutes et ses contradictions y sont ouvertement abordées. Seul bémol, cet ouvrage est un peu trop copieux (plus de 1000 pages dans l’édition Folio !), et donc pas forcément facile à lire.
Également très intéressante, et plus abordable, la biographie réalisée en 1978 par l’Américain Herbert R. Lottman offre une approche relativement exhaustive de la vie de l’écrivain. Ceci a été fait selon la méthodologie classique anglo-saxonne avec une rigueur qui, en revanche, n’offre pas cette impression d’immersion dans la vie du personnage, telle qu’on peut parfois le ressentir avec le livre d’Olivier Todd. Ce dernier a peut-être côtoyé Albert Camus, sinon des proches du fait de son implication dans les milieux littéraires des années 50-60, ce qui n’est visiblement pas le cas de Lottman. (2)
Le réalisateur Laurent Jaoui (3) a fait le choix de se focaliser sur les dix dernières années de la vie de Camus, lesquelles correspondent effectivement à son apogée, avec le prix Nobel de littérature en 1957, mais également à la période difficile qu’il a traversée avec la guerre d’Algérie à propos de laquelle il a trop longtemps hésité avant de prendre position. C’est également la période de la rupture avec Jean-Paul Sartre, suite à la dénonciation des camps staliniens dans son roman « l’homme révolté ». Le prix Nobel arrive au moment où Camus doute de plus en plus, s’estimant selon sa propre expression, « mort » (sous-entendu du point de vue intellectuel, littéraire, politique). C’est aussi la réapparition de ses problèmes de santé avec vraisemblablement une nouvelle récidive de la tuberculose qui l’avait atteint dès son plus jeune âge. C’est enfin la période où sa vie sentimentale ne s’arrange pas et où son épouse Francine sombre dans la neurasthénie et les tentatives de suicide. Pour ceux qui ne connaissaient pas cet aspect du personnage, ils y découvrent un Camus séducteur qui ne sait pas résister à l’amour des femmes. Francine était celle qu’il a fait beaucoup souffrir mais également celle sur laquelle il s’est constamment appuyé et dont il ne pouvait pas se passer, ce qui lui faisant dire cette phrase « je suis l’homme le plus fidèle des infidèles ».
Pour incarner Camus, Laurent Jaoui a choisi l’acteur Stéphane Freiss. Sans rechercher la ressemblance parfaite, comme c’est parfois le cas dans certains films biographiques (4), et avec un minimum de maquillage, c’est davantage par les attitudes que la performance d’acteur est remarquable, toute en justesse et finesse, au point qu’il finirait vraiment par lui ressembler.
Pour sa part, Anouck Grinberg campe une Francine Camus très convaincante, toute en retenue, émouvante et poignante. En revanche Guillaume de Tonquédec semble un peu à contre emploi. En effet, on ne s’attendait pas forcément à le voir incarner Michel Gallimard.
Albert Camus repose, aux côtés de son épouse Francine, à Lourmarin dans le Lubéron, région qui lui rappelait son Algérie natale (5).
Il y a quelques temps, Nicolas Sarkozy avait émis l’idée de rapatrier Camus au Panthéon. Jean Camus, son fils s’y est opposé afin de ne pas prêter le flanc à une quelconque récupération politique. Sa sœur Catherine (garante de l’œuvre de son père) ne s’est pas publiquement exprimée sur ce sujet. Pour ma part, je préfère imaginer Camus dans son cimetière sous le soleil provençal que dans ce monument gris et froid de la capitale.
Pour conclure sur cet aspect biographique de Camus, si cela vous donne envie de mieux le connaître, et avant de vous lancer dans la volumineuse littérature qui lui fût consacrée, ce téléfilm (6) peut déjà vous donner un aperçu de ce qu’était cet homme fascinant, dont la pensée est encore aujourd’hui une référence philosophique incontournable et dont l’écriture est d’une incomparable beauté par sa concision et son élégante simplicité.
Mais, au-delà de l’homme lui-même, il y a surtout son œuvre. Alors, plongez vous, si ce n’est pas déjà fait, dans quelques-uns de ses romans, essais, pièces de théâtre. C’est un Camus parfois bien différent que vous y découvrirez.
Pour ma part, depuis mes 18 ans, je suis devenu progressivement un inconditionnel de Camus, et ceci en grande partie grâce à un professeur de lettres qui savait nous enseigner la littérature contemporaine de manière très différente de ce qui se faisait à l’époque et qui, il faut bien le dire, était lui-même un fervent admirateur de cet écrivain.
Bien évidemment c’est avec « l’Etranger » que j’ai découvert Camus mais par la suite j’ai pratiquement tout lu de lui, ou presque, pas forcément bien d’ailleurs car certains ouvrages sont tout de même ardus et il conviendrait certainement que je m’y replonge avec une maturité différente.
Les livres qui m’ont le plus marqué sont « La Chute » et « La Peste » mais également les nouvelles « Noces » et « l’Été » dans lesquelles il décrit admirablement les paysages de son pays natal et la sensualité qui s’en dégage. Je connais un peu moins son œuvre théâtrale en dehors de « Caligula » et du « Malentendu ».
Le fait de voir ce téléfilm m’a donné envie de relire Camus et en particulier « L’homme révolté » et « La Chute » dont je ne me souviens plus très bien, ainsi que son dernier roman posthume « Le premier homme ».
Coïncidence, Albert Camus est né le 7 novembre 1913, il aurait donc aujourd’hui, exactement 99 ans…! L’année prochaine sera celle du centenaire de sa naissance.
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Notes :
- (1) De retour à Paris, il était passager dans la voiture de Michel Gallimard en compagnie de l’épouse de celui-ci et de leur fille, lesquelles ont survécu. L’automobile était une Facel-Vega, voiture sportive de luxe d’après guerre, et dont la fiabilité n’était pas le point fort. Une polémique était née sur le sujet mais il semblerait que ce soit plutôt l’éclatement d’un pneumatique qui soit la cause de l’accident.
- (2) Parmi les autres documents dont je dispose, je conseille également un excellent numéro hors-série de la revue Télérama. Je signale également le numéro « spécial Camus » du Nouvel observateur n° 2350 de novembre 2009 et en particulier une interview intéressante de sa fille Catherine disponible sur Internet. Sinon, il vous suffit de saisir le mot clef « Camus » dans un moteur de recherche pour trouver quantité de blogs, de documents, de photos, etc. En particulier l’article que lui consacre wikipédia est déjà très complet.
- (3) Laurent Jaoui est le frère d’Agnès Jaoui, également réalisatrice de film et comédienne. A propos du téléfilm qu’il a réalisé sur Camus, il existe un intéressant interview sur ce blog « des pensées diverses et variables » dans lequel vous trouverez également de très bonnes photos.
- (4) Dans le domaine des biographies, j’ai été impressionné par celle de Sartre et de Beauvoir (les amants du Flore), avec Anna Mouglalis et Laurent Deutch, mais il faut également signaler celle de Françoise Sagan dans laquelle Sylvie Testud est vraiment épatante.
- (5) Lourmarin est un très joli village au pied du plateau du Lubéron. Chaque fois que j’ai eu l’occasion de séjourner dans cette région, je n’ai jamais manqué de rendre visite à Camus. Ce tout petit diaporama vous donnera une idée de ce lieu et de l’environnement qu’il a pu brièvement connaître entre 1958 et 1960. La maison est toujours occupée par sa famille et plus particulièrement sa fille Catherine.
- (6) Pour qui voudrait le voir ou le revoir, il est disponible, en 5 épisodes, sur Dailymotion à cette adresse.