Alpine au Mans – Des débuts prometteurs

En 1962, Alpine présentait son modèle A110 devenu l’emblème de la marque et qui, au-delà du succès commercial qu’il a eu pendant 15 ans, a brillé en rallye avec deux titres de champion du monde à la clé.

A cette même époque, la compétition d’endurance était en plein essor, que ce soit dans le domaine des grosses cylindrées où Ferrari dominait sans partage, que dans les cylindrées intermédiaires avec Porsche, Alfa Romeo, Lotus, Sunbeam, Abarth, etc.
Mais Jean Rédélé, le bouillonnant et ambitieux patron d’Alpine, regardait plutôt du côté de la catégorie des petites cylindrées. Celle-ci intéressait les français car elle concernait des voitures avec des motorisations similaires à celles de leurs propres véhicules.
A ce titre il faut d’ailleurs noter qu’un classement spécial était établi aux 24 heures du Mans en fonction d’un « indice de performance » qui permettait de récompenser les meilleurs ratios distance/cylindrée (1). Il y avait là un indéniable atout publicitaire  pour la promotion commerciale des voitures de série.

(C) Alf van Beem pour Wikipedia

Le créneau était occupé, d’une part par les DB/CD Panhard et leur petit moteur bi-cylindres, mais aussi par la toute nouvelle Djet de René Bonnet (2). Celle-ci était en effet une concurrente directe de l’Alpine A110 sur le plan commercial.
Il fallait donc que la firme de Dieppe soit présente dans le domaine des courses d’endurance pour marquer sa différence.
La A110 n’étant pas taillée pour ce type d’épreuve, il était nécessaire de développer une autre voiture capable de rivaliser avec les très innovantes Djet à moteur central arrière qui étaient également propulsées par des moteurs Renault.

C) Autodrome.fr Paris

L’évènement déclencheur qui a mis très en colère Rédélé est lié au fait que Renault venait tout juste de fournir à René Bonnet le tout dernier moteur concocté par Amédée Gordini, mettant ainsi à mal l’exclusivité qu’Alpine croyait avoir avec la Régie de Billancourt.
C’était sans compter avec la pugnacité du normand, lequel a mis alors toute son énergie pour convaincre Renault de lui fournir également ce fameux moteur en faisant miroiter, d’une part l’avenir de la berlinette A110, et d’autre part la promesse (certes un peu hasardeuse) d’un prototype capable de battre Panhard et Bonnet, le tout étant une vitrine incontestable pour la Régie. Sur ce coup de bluff, Renault finira par céder…

Les premiers pas avec la série M6x

Maintenant, il restait à mettre en place une équipe et à concevoir un châssis et une carrosserie pour que le fameux prototype promis soit au rendez-vous pour les prochaines 24 h en juin 1963. Ce sera le bien nommé projet M63.
S’agissant de l’équipe, Jean Rédélé avait déjà embauché récemment l’ingénieur Richard Bouleau (ci-contre avec Amédée Gordini et Jean Rédélé) auquel s’est joint un peu plus tard le non moins talentueux Bernard Boyer venu de l’équipe qui avait conçu la CD Panhard victorieuse dans la catégorie en 1962.
Il ne restait plus qu’à trouver un aérodynamicien pour habiller la voiture et ce sera en débauchant Marcel Hubert (ci-contre de profil avec Bernard Boyer), également ancien concepteur de la CD Panhard…

Le journaliste et pilote José Rosinski complétera l’équipe en tant que pilote de mise au point, et accessoirement directeur sportif.

Il fallait aller vite et donc tenter de récupérer tous les composants que l’on pouvait à partir de l’existant (berlinette ou production de série Renault). Pour le châssis, ce fut un peu plus compliqué et il a été décidé de recourir dans un premier temps à un designer britannique recommandé par Lotus (3). Ceci ayant abouti à un fiasco, l’équipe a dû se rabattre en urgence sur un châssis « poutre » dérivé de celui de la berlinette A110.

Pour les trains roulants, rien de révolutionnaire avec des suspensions classiques, ressorts hélicoïdaux sur amortisseurs, double triangulation à l’avant, triangles inférieurs, bras supérieurs et bras oscillants jumeaux à l’arrière. Pour le reste, une direction de 4L fera l’affaire ainsi que des éléments en provenance de 4CV ou de R8. Les freins sont bien évidemment à disques sur les 4 roues, dérivés de ceux de la R8.

Le cœur de la bête était donc le fameux 4 cylindres Gordini dans sa version de 996 cm3, bloc fonte et culasse alliage léger, vilebrequin à paliers et deux arbres à cames en tête. Associé à deux carburateurs Weber, il développait 93 Ch. Après plusieurs essais, une boîte de vitesse Hewland à 5 rapport complétera le tout.

(C) Wouter Melissen – Ultimatecarpage

Le talent de Marcel Hubert a fait le reste pour ce qui est de la carrosserie. L’allure est tout à fait réussie avec une ligne fluide, toute en rondeurs, et un profil en goutte d’eau qui rappelle la CD Panhard… L’idée était de compenser la faible puissance par un coefficient aérodynamique Cx le plus faible possible.
Enfin, on reconnait ici ou là quelques emprunts discrets à la berlinette A110, juste ce qu’il faut pour confirmer la filiation (pare brise, forme de la proue, charnières de capot, etc.).

(C) Wouter Melissen – Ultimatecarpage

Avec sa carrosserie en fibre de verre, la M63 ne pèse que 610 kg en ordre de marche et ses 93 Ch peuvent la propulser jusqu’à une vitesse de pointe de 230 km/h, ce qui fût constaté dès les premiers essais au Mans en avril 63 où la voiture s’est montrée d’entrée de jeu plus rapide que la Djet de René Bonnet en dépit d’un comportement inquiétant à grande vitesse. Moyennant quelques réglages, tous les espoirs étaient donc permis.

Hélas, la saison sera décevante. Après un bon résultat au Nürburgring où Casner et Rosinski remportent leur classe en terminant 11ème, le Mans s’est soldé par un abandon des 3 voitures engagées et en plus par le décès d’un pilote suite à une sortie de piste.
Une Bonnet Djet remportera l’indice de performance tandis que Bernard Boyer et Guy Verrier étaient contraints à l’abandon à la 23ème heure alors qu’ils tenaient le titre. Le reste de la saison ne fût pas plus glorieux si ce n’est que José Rosinski et Henri Grandsire ont sauvé l’honneur dans leur classe à Reims (1ère et 3ème) et à Charade (2ème et 3ème).

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Pour la saison 64, la voiture va évoluer. D’une part il va être possible de repenser le châssis pour un treillis tubulaire plus rigide et surtout plus léger. D’autre part les motorisations évoluent également avec un 1000 cm3 et un 1100 cm3, ce dernier permettant d’atteindre maintenant 240 km/h de vitesse de pointe. Enfin, l’aérodynamique évolue légèrement en gagnant un peu plus en finesse, en hauteur et en largeur. Ce sera le modèle M64.

Durant cette nouvelle saison, des M63 seront à nouveau engagées mais également des M63B lesquelles sont  en fait des M64 habillées encore en M63.
A la Targa Florio les frères Bianchi remportent la 2ème place de la classe derrière une Porsche 904.
Au Mans une M63B terminera à la 3ème place derrière la M64 de Delageneste-Morrogh. les deux autres M64 de Bianchi-Vinatier et de Grandsire-Vidal étant non classée pour l’une ou contrainte à l’abandon pour l’autre. Enfin, le reste de la saison sera quand même marqué par les M64 avec un triplé 1-2-3 à Reims et un doublé 1-2 aux 1000 km de Paris.

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(C) News d’Anciennes – LMC 2018

Après de tels résultats, certes encourageants mais tout de même encore un peu en demi teinte, un nouveau modèle M65 va être proposé pour la saison suivante avec une aérodynamique repensée faisant apparaître deux ailerons verticaux à l’arrière et un becquet, ainsi qu’un nouveau dessin de la custode. Les motorisations évoluent également. Le 1000 cm3 passe à 105 Ch tandis que le 1300 cm3 en propose 125. Sinon ce sont des améliorations à la marge sur les suspensions et l’adoption de roues en magnésium, parfois associées à des flasques.

Si la voiture était prometteuse, l’année 65 fut une grande désillusion. aucune Alpine ne terminera au Mans et les seuls bons résultats ne seront obtenus qu’à Reims, au Nürburgring et à Albi.

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L’ambiance au bureau d’étude est de plus en plus tendue du fait d’un rythme trop soutenu et la nette impression de « courir plusieurs lièvres à la fois » entre le programme A110 et les rallyes d’une part, et l’endurance d’autre part. De surcroît le « patron », ne reculant devant aucun challenge, avait conjointement initié un programme de développement de monoplaces pour la F2 et la F3…! (4)

Cela faisait déjà un petit moment que l’équipe avait des états d’âmes vis à vis des méthodes de management de Jean Rédélé, lequel mettait beaucoup la pression et imposait des cadences de travail de plus en plus fortes qui ne permettaient pas de faire du bon travail.
L’arrivée de Mauro Bianchi comme pilote provoquera déjà le départ de Rosinski. De même le brillant et rigoureux Bernard Boyer ne se fera pas à « l’à peu près » qui faisait loi avec Rédélé et il finira par jeter l’éponge pour partir sous d’autres cieux chez Matra (5).  Le jeune ingénieur André De Cortanze viendra en renfort dans l’équipe.

La maturité avec la A210

(C) Blogiboulga – LMC 2014

Pour l’année 66, une nouvelle version sera proposée mais elle portera cette fois-ci le nom d’Alpine A210.
Il ne s’agira ni plus ni moins que d’une légère évolution de la M65 avec encore quelques retouches aérodynamiques et des motorisations un peu plus affûtées qui permettront de gagner une dizaine de chevaux supplémentaires, quelle que soit la cylindrée (1000 ou 1300 cm3).
Au niveau transmission, la boîte de vitesse Hewland est la plus performante mais elle sera remplacée par une boîte Porsche plus robuste pour tenir aux 24 heures du Mans.

(C) Blogiboulga – LMC 2014

Après des tests prometteurs au Mans en avril, le premier bon résultat arrivera aux 1000 km de Spa aux 9ème et 10ème places, logiquement derrière le groupe des grosses cylindrées constitué de Ferrari 250 LM, P3, 308 et Ford GT40 mais en remportant tout de même le doublé dans la catégorie.

Un mois plus tard au Mans, Alpine  présente 6 voitures dans une épreuve où les abandons vont s’enchaîner au point de ne plus voir que 15 concurrents à l’arrivée sur les 55 initialement présents sur la grille de départ.
Alpine s’en sort plutôt bien avec 4 voitures à l’arrivée sur les 6 engagées. Derrière 3 Ford GT-40, 4 Porsche 906 et une Ferrari 275, l’équipage Grandsire-Cella pointe à la 9ème place et remporte la victoire de classe des moins de 1300 cm3, et en même temps le titre au classement de l’indice énergétique. Trois autres A210 arrivent aux 11, 12 et 13ème places offrant ainsi à Alpine un quadruplé historique et faisant du même coup la preuve de leur réelle capacité d’endurance. Le reste de la saison sera également fructueux avec de bons résultats à Charade, au Nürburgring, à la coupe du Salon et aux 1000 km de Paris.
A noter que, pour la première fois cette année là, des A210 vont courir sous les couleurs de l’écurie Savin-Calberson (6).

(C) Blogiboulga – LMC 2018

En 1967, les A210 s’enrichissent d’une possibilité de motorisation supérieure avec un bloc sur-alésé portant la cylindrée à 1470 cm3 et 165 Ch.

Après un début de saison peu convaincant, l’épreuve du Mans va voir à nouveau le même scénario que l’année précédente pour Alpine avec à nouveau quatre A210 à l’arrivée, remportant ainsi le triplé de la classe des moins de 1300 cm3 et le titre dans celle des moins de 1500 cm3. Le reste de la saison est satisfaisant avec quelques bons résultats à Reims, Madrid, Nürburgring, etc.

On continuera à rencontrer des A210 durant les deux années suivantes avec des résultats certes un peu plus modestes mais tout à fait honorables en remportant encore ici où là des victoires de classes et parfois même en sauvant l’honneur des A220…!

Pour plus de détails sur les résultats de l’Alpine A210, reportez vous au remarquable site de Racing Sport Cars et à sa page justement consacrée à cette voiture de 1966 à 1970. Vous y retrouverez non seulement le palmarès, mais également les détails sur chacune des épreuves en naviguant à l’intérieur des listes.

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Ainsi se termine cette première expérience d’Alpine en compétition d’endurance laquelle s’est déroulée en parallèle avec la production de série des A110 qui faisaient par ailleurs carrière dans le domaine très différent des rallyes.
Dorénavant tous les efforts vont porter sur l’Alpine A220 dans la catégorie supérieure des moins de 3 litres avec un tout nouveau moteur V8 Gordini. Le but de Jean Rédélé est clairement de viser le podium au classement général face à une concurrence constituée entre autres de Porsche, Alfa Romeo et Matra. C’est ce que nous verrons dans cet autre article.


Notes :

(1) Ceci explique le fait qu’en examinant les résultats, certaines voitures sont bien arrivées au bout des 24 heures de course mais n’ont pas été classées faute d’avoir parcouru une distance suffisante compte tenu de leur cylindrée.
Il existait aussi un « indice énergétique » qui permettait de distinguer les voitures les plus économiques en carburant.
(2) Il est utile de rappeler que Charles Deutsch et René Bonnet étaient au départ associés au sein de l’entreprise DB en partenariat avec Panhard. Par la suite René Bonnet a créé sa propre entreprise avant d’être absorbé par Matra tandis que Deutsch continua cette fois-ci avec les CD Panhard.
(3) Initialement Rédélé pensait sous-traiter le châssis à Lotus, lequel n’ayant pas le temps le renvoya vers un architecte collaborateur. Ce dernier concocta un châssis qui s’avéra à terme incompatible avec les exigences de la FIA.
(4) Il y a même eu un projet de F1 qui n’a pas vu le jour. La voiture a bien été construite mais elle n’a jamais couru.
(5) Bernard Boyer y fera un brillante carrière en étant l’architecte des fameuses Matra MS 6xx qui iront jusqu’au titre mondial en 1973 et 1974.
(6) Il semblerait que cela soit davantage un partenariat de type sponsoring avec cette entreprise de transport et de messagerie plutôt qu’une véritable écurie indépendante.


Références :

Pour les modèles M63, M64 et M65, mes principales références ont été :

Pour l’Alpine A 210 :

Sinon, la grande référence parmi les références  est bien évidemment le site « Les Alpinistes » et sa section « héritage » dont il ne faut pas hésiter à feuilleter les centaines d’articles, très intéressants et bien illustrés, qui la constituent.

Et comme toujours, pour les palmarès détaillés :

Enfin, s’agissant des illustrations de cet article, je me suis efforcé de citer les auteurs toutes les fois que j’ai pu les identifier. Toutefois, dans de nombreux cas, certaines photos se retrouvent sur plusieurs sites distincts sans pouvoir déterminer qui en est l’auteur. Si vous avez des informations à ce sujet, merci de me les transmettre afin que je puisse rectifier ou complèter.

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