Je viens de regarder les deux derniers épisodes de « Baron Noir », une série réalisée et diffusée par Canal+, et je pense qu’il s’agit là d’une véritable réussite dans le domaine de la fiction politique, telle qu’on n’en avait pas vue depuis longtemps de la part de la production TV française. A ce titre, n’ayons pas peur de la comparaison, « Baron noir » peut se hisser à un niveau équivalent à la désormais célèbre série américaine « House of Cards ». Nous allons y revenir dans ce qui va suivre.
Certes le cinéma a déjà produit pas mal de bons films dans ce registre, et plus particulièrement en provenance des Etats-Unis. Parmi les films français, je pense à l’excellent « L’exercice de l’Etat » de Pierre Schoeller dans lequel Olivier Gourmet et Michel Blanc contribuaient, au travers de leurs personnages respectifs, à nous immerger dans ce monde complexe de la politique et du pouvoir. Mais on peut également parler de « Une affaire d’état » d’Eric Valette ou encore de « L’ivresse du pouvoir » de Claude Chabrol, pour ne parler que de quelques-uns qui me viennent à l’esprit, et sans oublier « Le Président » d’Henri Verneuil qui est une véritable référence. Enfin, sur le ton plus léger de la comédie satirique il faut encore citer « La conquête » de Xavier Durringer ou « Quai d’Orsay » de Bertrand Tavernier.
Pour sa part, la télévision n’est pas en reste mais ne s’est cantonnée, jusque-là, qu’à des téléfilms ou des mini séries sur le ton de la comédie (L’Etat de Grace, La dernière campagne, etc.), sinon à des fictions sans grand intérêt où le spectaculaire racoleur prend vite le dessus, au détriment d’une véritable analyse des arcanes de la politique et du pouvoir (1). La seule série qui, à mon sens, valait la peine était « L’école du pouvoir » qui permettait justement de bien comprendre comment cela pouvait fonctionner dans la tête d’un futur animal politique sorti de l’ENA.
Le déroulement de l’intrigue de « Baron Noir » s’articule autour de 3 personnages principaux que sont Philippe Rickwaert, Francis Laugier et Amélie Dorendeu.
- Le premier est député mais surtout maire de Dunkerque depuis de nombreuses années. Issu du milieu ouvrier, il pratique la politique avec détermination, opiniâtreté et sans états d’âmes. Sûr de son pouvoir, sans renier pour autant sa sensibilité de gauche, il n’hésite pas non plus à recourir à des pratiques plus ou moins opaques. C’est un homme charismatique qui fascine son entourage, autant par son talent de persuasion que par son inépuisable dynamisme. Ceci étant, Rickwaert est un politique parfaitement atypique et parfois même totalement imprévisible. Il est incarné par Kad Merad que l’on n’attendait pas forcément dans ce registre mais qui y révèle une personnalité très attachante et d’une extraordinaire crédibilité.
- A l’opposé, mais dans le même camp, Francis Laugier est un politique issu des générations précédentes à qui on n’apprend pas le métier et qui manie avec talent la tactique politique avec ce qu’il faut de froideur, de rondeur aussi, de hauteur sans aucun doute mais également de roublardise et de machiavélisme. C’est ainsi qu’il vise la fonction suprême de Président de la République et pour cela il a su s’entourer de ceux qu’il juge utiles pour atteindre son but. En particulier il s’appuie sur Rickwaert qu’il connait depuis longtemps, dont il a été plus ou moins le mentor et qu’il a aidé à progresser rapidement dans le sérail du parti. On ne peut pas s’empêcher de penser à un certain François Mitterand…! Pour incarner ce personnage énigmatique et charismatique Niels Arestrup est parfait (2).
- Enfin, Amélie Dorendeu incarne la nouvelle génération. Issue d’un milieu aisé, c’est le prototype même de l’énarque surdouée qui pratique la politique sous cet angle technocratique que les générations précédentes ne maîtrisaient pas forcément bien mais qui s’avère désormais essentiel pour gagner une élection dans les coulisses du pouvoir. Ceci étant, Amélie n’est pas que cela, au fil des épisodes on va la voir évoluer pour devenir aussi déterminée et sans scrupule que Philippe, aussi machiavélique et charmeuse que Francis. Elle aussi vise haut, très haut, quitte à ce qu’il y ait des dommages collatéraux sur sa trajectoire. C’est la belle et envoûtante Anna Mouglalis qui incarne à la perfection Amélie Dorendeu.
Ces trois-là, en dépit de leurs profils très différents, sont de la même trempe et se fascinent mutuellement sans pouvoir réellement trouver de points de convergence solides. Visiblement, pour eux, la politique ce n’est pas cela. Ils vont ainsi se livrer des combats sans merci, alternant les alliances d’un jour et les coup bas d’un autre jour.
Malgré ces trois fortes personnalités, il serait dommage de passer sous silence toute une série de personnages, a priori secondaires, qui gravitent autour des trois principaux et qui ont aussi leur importance dans le déroulement des faits. On va ainsi découvrir les proches de Rickwaert avec Véro son adjointe à la mairie, écartelée entre l’admiration et la reconnaissance qu’elle voue à son mentor d’une part, et ses pratiques douteuses d’autre part. Il y a aussi Cyril le brillant Normalien qui, après avoir été son assistant parlementaire, deviendra son directeur de cabinet dans un ministère. Il lui est dévoué au-delà du raisonnable. Enfin il y a Salomé, sa fille de 17 ans qui aura de qui tenir…!
Du côté de Francis et Amélie, les véritables amis ne sont pas légion. Leur proximité du pouvoir suprême (la présidence pour l’un et le parti pour l’autre) fait que ceux qui gravitent autour d’eux sont davantage des collaborateurs ou des alliés de circonstance. Ainsi on va voir fonctionner tous ces engrenages, ces courroies de transmission, ces burettes d’huile, toutes ces petites mains, etc. qui constituent et font marcher la mécanique complexe du pouvoir avec un grand P.
Vous m’avez certainement compris, cette série est passionnante de bout en bout avec même un petit côté addictif qui fait que l’on enchaînerait presque d’un trait l’ensemble des 8 épisodes qui constituent la saison 1. Tous ces personnages hors norme nous fascinent autant qu’ils se fascinent mutuellement.
En regardant cette série, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à « House of Cards » que j’ai également beaucoup appréciée, même si j’ai pu trouver les trois saisons assez inégales. Ce qui fait que j’aurais maintenant une petite préférence pour « Baron noir » est déjà en grande partie dû au contexte. En effet, il faut admettre que les méandres de la vie politique américaine peuvent parfois nous paraître assez abstraits et très éloignés de nos réalités hexagonales.
Si certaines situations et les typologies de caractères des principaux personnages sont assez similaires, « Baron Noir » est encore loin de « House of Cards » dans le domaine de la violence physique. De ce point de vue ça n’est pas plus mal car on pourrait justement reprocher à la série américaine cette avalanche de morts violentes qui finissent par nous laisser penser que « trop c’est trop »…
En revanche, pour ce qui est de la violence psychologique, « Baron Noir » soutient parfaitement la comparaison. En effet, si l’on est encore un peu en deçà de ce que l’on a pu voir dans « House of Cards », les propos sont tout de même assez musclés. Ainsi, on peut aisément comparer le cynisme, le machiavélisme voire la cruauté d’un Francis Laugier, d’un Philippe Rickwaert, d’une Amélie Dorendeu, d’un Cyril Balsan, d’une Véronique Bosso etc. avec ceux du couple Underwood, d’une Jackie Sharp, d’un Doug Stamper d’un Remy Danton, etc. et même chose pour bien d’autres personnages… Amusez-vous à chercher qui peut ressembler à qui et vous verrez !
Bon maintenant, me direz-vous, cette série est-elle de nature à nous réhabiliter ou non avec la politique et ceux qui en sont les acteurs ? Certains vont penser que non et qu’au contraire elle ne fera que nous conforter dans la défiance vis à vis de ceux qui nous gouvernent. A l’inverse, d’autres (comme c’est mon cas) penseront que ce n’est pas aussi évident. En effet, même si certaines séquences sont bien dans la lignée des malversations politico-judiciaires que nous connaissons de manière récurrente depuis des années (toutes tendances politiques confondues), la série ne vise pas non plus à discréditer en bloc l’ensemble du monde politique et elle ne sombre pas forcément non plus dans cette sentence un peu trop facile et populiste du « tous pourris ». Eric Benzekri déclarait à propos d’éventuelles similitudes entre les personnages de la série et certains membres du PS que « Tout est faux et en même temps, tout pourrait arriver. C’est ça qui est troublant ». Ceci résume assez bien l’esprit de cette fiction. (3)
Enfin pour terminer il est nécessaire de dire quelques mots sur les auteurs de « Baron Noir ». Pour commencer, le réalisateur Ziad Doueiri n’est pas un inconnu puisqu’il a déjà réalisé des films remarqués tels que « West Beyrouth » en 1998 et plus récemment le superbe et troublant « L’attentat » en 2012 dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans cette chronique.
S’agissant des scénaristes il s’agit d’Eric Benzekri et de Jean-Baptiste Delafon. Le premier des deux (ci-contre à gauche) a longtemps milité au PS et il connaît donc plutôt bien les rouages de la politique. D’ailleurs, les premières réactions du monde politique actuel, suite à la diffusion de cette série, n’affichent pas de réelles remises en cause, Manuel Valls allant jusqu’à dire « Qu’il y avait des aspects fidèles à la vie politique française. Ça peut être les trahisons, ça peut être quand on promet et qu’on ne réalise pas ses engagements ».
Compte-tenu de la fin du dernier épisode de la série, il est plus que probable qu’une seconde saison va voir le jour. D’ailleurs Eric Benzekri a confirmé récemment qu’elle était en cours d’écriture et que le tournage aurait vraisemblablement lieu d’ici un peu plus d’un an, pendant la campagne présidentielle…!
Pour conclure, si vous n’avez pas encore vu « Baron Noir » et si vous disposez de Canal+ vous devriez disposer d’un délai raisonnable pour regarder les 8 épisodes de cette première saison en VOD. Sinon, il est à peu près certain que la version DVD sera « dans les bacs » prochainement.
Si vous souhaitez en savoir davantage, Canal+ a mis en ligne un mini-site entièrement consacré à la série. Vous y découvrirez non seulement le synopsis mais également la description des principaux personnages et de nombreuses pages d’actualités, d’interviews, etc. Sinon, Allociné a déjà cette série dans ses tablettes et même chose pour Wikipédia. Enfin, il vous suffira de saisir le nom de la série dans n’importe quel moteur de recherche pour vous rendre compte que celle-ci commence à susciter pas mal d’articles sur le net.
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Notes :
(1) Dans cette catégorie, je pense plus particulièrement à la série « Les hommes de l’ombre » qui est d’une médiocrité affligeante.
(2) Niels Arestrup est un grand acteur que j’ai pu apprécier à de nombreuses occasions et en particulier je me souviens de son interprétation du Dircab du Ministre des affaires étrangères dans « Quai d’Orsay » dans lequel il était épatant.
(3) Au petit jeu des similitudes entre la réalité et la fiction, si Laugier nous fait penser à Mitterand, les rumeurs du net viseraient également à dire que le personnage de Philippe Rickwaert aurait été en partie inspiré par Julien Dray.