Cela faisait 7 ans que ses fans, dont je suis, attendaient un nouvel album. Voici qui est fait, Francis Cabrel vient de nous livrer son nouvel opus sous le titre, à la fois énigmatique et inquiétant, In Extremis. (1)
J’ai rarement été déçu par un album de Cabrel (d’ailleurs l’ai-je vraiment été une seule fois ? je ne crois pas) mais il s’y trouve parfois, tout de même, que deux ou trois chansons pêchent un peu par rapport à l’ensemble. Avec « In Extremis », ce n’est pas le cas, tout est bon, que dis-je…! excellent, tant au niveau des textes que des musiques.
Oui, bien sûr, ses détracteurs (il y en a ;-)) vont encore dire : « Bof, Cabrel continue à ne faire que du Cabrel, c’est toujours la même chose, on reconnait à cent lieues ». Et bien justement, moi je demande à ce que Cabrel continue encore longtemps ainsi, à faire ce qu’il sait si bien faire et à nous émouvoir avec ses textes ciselés, profonds, qui parlent avec des mots simples aussi bien d’amour, que des choses de la vie, que du temps qui passe, que des dérives cyniques de notre monde et, en filigrane, de plein d’autres petites choses où chacun pourra s’y retrouver.
Comme dans la plupart de ses albums, on trouve dans In Extremis le poète inspiré mais également l’homme révolté, sans pour cela d’ailleurs prendre une quelconque posture militante, non juste comme ça, en toute discrétion mais également en toute détermination, comme nous pouvons l’être nous-mêmes.
Oui, c’est vrai, au-delà de sa voix bien particulière, teintée d’accents des bords de Garonne, on reconnait Cabrel à cent lieues, que ce soit de par le choix et le rythme des mots, ou par sa musique faite tout à la fois de rock, de jazz, de folk, de pop, etc. Je crois qu’on peut dire qu’il y a vraiment une « signature Cabrel » tout comme il y en a, par exemple, une pour des artistes comme Jean-Jacques Goldman ou Michel Berger (pour ne citer que ces deux-là) dont le style est désormais bien ancré et identifiable entre tous. Même chose, à propos de la musique, en dépit du fait que le style Cabrel soit un mélange de tout un tas d’inspirations diverses, les tempos, les orchestrations, les arrangements sont signés, il y a vraiment un « son Cabrel » comme il y a un « son Dylan » ou un « son Rolling Stones ».
Passons maintenant aux chansons de cet album. Je pense que l’on pourrait s’en tenir à la préface de Jean Rouaud (2) dans la page d’accueil du site de Cabrel. Tout y est dit avec talent.
Pour ma part, si comme je l’ai déjà dit, je ne trouve « rien à jeter » j’ai quelques coups de cœur plus particuliers pour certaines chansons, et en particulier pour :
- Les tours gratuits, poignante et ô combien réaliste sur le thème de l’enfance et du temps qui passe (trop vite hélas). Cette chanson se termine sur un duo de clarinettes absolument sublime.
- In Extremis qui nous parle de l’intolérance croissante qui s’installe dans notre société. Au travers d’une belle métaphore, avec les oiseaux, le propos reste très dur et nous invite à nous regarder dans le miroir.
- A chaque amour que nous ferons qui est une superbe ode sensuelle dans la lignée de La robe et l’échelle du précédent album.
- Dur comme fer qui nous rappelle ce monde où la politique peut parfois être synonyme de cynisme de la part de ceux qui l’incarnent.
- Le pays d’à côté qui nous glacerait presque devant cette évocation sans appel de notre irresponsabilité vis à vis de la planète et de la tendance naturelle de nos sociétés à jouer les autruches. A noter l’inspiration africaine de la musique qui tombe à pic.
- Azincourt. Avec cette évocation d’un épisode funeste de la guerre de cent ans, c’est un réquisitoire tout en finesse de cette folie des hommes que l’on appelle la guerre. Même si le sujet est un peu différent on ne peut s’empêcher de penser à sa chanson sur les chevaliers Cathares.
- La voix du crooner. Serait-ce un message de la part de Cabrel pour nous dire qu’il ne va pas continuer encore longtemps ? (3) Pour qui a connu l’ambiance des bals des années 60/70, ils y retrouveront les inévitables solos de basse et les trémolos de la guitare. 😉
- Et j’ai quelques scrupules à ne pas parler des autres chansons dont je ne me lasse pas non plus.
Pour conclure, à chaque parution d’un album, je me dis que je tiens là le meilleur. Force est de constater que celui-ci est un excellent cru. Toutefois, en écrivant cet article, je me suis penché sur quelques-uns qui l’ont précédé en me disant « Quand même, celui-ci ou celui-là étaient bien aussi…! ». Une chose cependant caractérise plus particulièrement cet opus, c’est son registre plutôt sombre. Certes les quatre précédents avaient déjà plus ou moins cette tonalité pour quelques chansons mais il s’en trouvait toujours quelques autres dans un registre plus léger.
A noter enfin que, contrairement à quelques autres albums récents, celui-ci ne comporte pas une reprise d’une chanson de Bob Dylan.
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PS. Petit bémol qui gâche un peu mon enthousiasme… J’aurais bien voulu vous proposer un lien interactif vers Deezer afin de vous permettre d’écouter ce dernier album de Cabrel. De même j’avais également envie de vous proposer une « playlist » de mes chansons préférées. Ceci n’est pas possible car, comme j’ai déjà eu l’occasion de le déplorer, Môssieu Cabrel se refuse à paraître sur ce genre de site. Dommage pour ses admirateurs mais aussi pour lui. De ce fait, il ternit un peu son image par cette posture un tantinet infantile. 🙁 Allons Francis…! Un petit effort, arrête de bouder !
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(1) A noter qu’entre « Des roses et des orties » et « In extremis », Cabrel a fait un album particulier entièrement consacré à Bob Dylan. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler dans cet autre article. (1) Au cas où cette préface disparaisse un jour de la page d’accueil, en voici le texte que je trouve particulièrement pertinent : « Sept ans depuis Des roses et des orties qui insinuait déjà que la vie pouvait être piquante, dans tous les sens du terme. Sept ans, un quart temps de la réclusion de Mandela. Le temps de faire l’inventaire de la cellule où nos pensées tournent en boucle, de tirer le bilan de nos renoncements et de nos bonheurs, le temps des désenchantements (cette dénonciation du cynisme des puissants, ce peu de cas que l’on fait des hommes et de la terre), le temps qui passe, qu’on aimerait mettre en pause à coups de crèmes magiques en faisant ‘comme si on était partis pour rester’. Mais difficile de ‘faire comme si’ les enfants pendant ce temps n’avaient pas grandi. Il faut se retourner désormais pour entendre leurs cris de joie pendant les tours de manège. Et une fois retourné, c’est la grande déferlante du passé. On redécouvre les premiers groupes, les premiers concerts, on entrevoit un vieux crooner hantant la scène, les destins brisés des grandes figures du jazz, poussant plus loin on peut même assister à la fin de la chevalerie sur la plaine d’Azincourt, et beaucoup plus loin encore, on discerne une croix plantée sur une colline qui apporte la preuve qu’on peut mourir d’amour. Car sept ans plus tard, in extremis, on le voit bien, il n’y a que l’amour qui demeure. »Jean Rouaud, Prix Goncourt 1990. (2) J’évoque cette éventualité à dessein car je l’ai entendu dire, lors d’une interview sur France-2 dans le cadre de l’émission « Alcaline », qu’il ne souhaitait pas continuer ainsi trop longtemps.