In extremis en ce jour de Saint Sylvestre, voici l’ultime chronique cinéma de l’année 2016. Ainsi, je vous donne rendez-vous en 2017 pour une nouvelle série de chroniques.
- Un prophète. 😀 Jeune délinquant de 19 ans, quasiment illettré, Malik vient d’être condamné à six ans de prison. Complètement perdu, il arrive dans une maison centrale où la vie des détenus dépend en grande partie de deux groupes antagonistes constitués, d’une part du clan des mafieux corse dirigé par César Luciani, et d’autre part de la communauté des musulmans. Tout ce petit monde vit de petits ou de gros trafics, avec l’aide éventuelle de surveillants ripoux. Dès son arrivée, Malik est repéré par Luciani qui en fait tout à la fois son larbin et son homme de main pour des missions ponctuelles internes à la prison. Parmi celles-ci, il lui demande d’assassiner Reyeb, un détenu qui menace de dénoncer leurs pratiques. Influençable et sous la menace, Malik accepte et va ainsi gagner petit à petit la confiance de Reyeb, ce dernier lui manifestant par ailleurs de l’amitié en l’aidant, entre autres, à apprendre à lire. Toutefois, sans trop d’état d’âme, Malik égorge Reyeb. Il devient alors le protégé de César, lequel va progressivement lui confier d’autres missions de plus en plus stratégiques, y compris à l’extérieur lorsque Malik bénéficiera, à la moitié de sa peine, d’autorisations de sortie. Intelligent et apprenant vite, le jeune homme va peu à peu organiser son propre réseau de trafic tout en faisant mine de rester sous le contrôle de Luciani. Ce dernier commence toutefois à perdre de son influence dans l’établissement du fait du transfert de ses compatriotes corses dans une autre prison d’une part, et de la montée en puissance de la communauté des religieux musulmans d’autre part. Malik va savoir exploiter cette situation à son avantage. Une fois n’est pas coutume, j’évoque ici un film relativement ancien de Jacques Audiard (2009) que je n’avais encore jamais vu. Décidément Audiard est un grand bonhomme du cinéma et ce film est peut-être le plus puissant qu’il ait réalisé. Dans une ambiance noire, pesante, violente et hyper-réaliste, ceci vous empoigne jusqu’à la nausée dans ce milieu carcéral dont il en est dit long sur les effets pervers et les dommages collatéraux qu’il engendre. Vous l’aurez compris, on ne ressort pas indemne d’un tel film et plus on y pense à nouveau, plus il continue à vous tarauder l’esprit. Avec en plus les interprétations de haute volée de Tahar Rahim et Niels Arestrup, l’avalanche de récompenses obtenues au festival de Cannes est très amplement justifiée. Plus d’information sur Allociné mais aussi dans cet article de wikipedia.
- Dheepan. 😀 Nous sommes en 2009 et la guerre civile au Sri Lanka semble enfin arriver à son terme. Les Tigres tamouls sont prêts à se résigner à la capitulation. Dheepan est un des soldats de cette organisation séparatiste. Fatigué, désabusé, il décide de fuir en tentant de bénéficier des aides humanitaires internationales. Pour cela, souhaitant rejoindre l’Europe, il part à la recherche d’une femme et d’un enfant afin de faire croire à une « famille » et obtenir ainsi plus facilement l’asile politique. C’est ainsi que, tout en n’ayant rien à voir les uns avec les autres, Dheepan, Yalini et la jeune Illayaal arrivent à Paris. Ils commencent par vivre de manière précaire dans un foyer d’accueil jusqu’à ce que Dheepan obtienne un emploi de gardien d’immeuble en banlieue. La fausse famille cohabite tant bien que mal et Dheepan tente pour sa part de se rendre utile tout en jouant profil bas afin de ne pas éveiller les soupçons dans cette communauté de banlieue où les trafics et la violence sont quotidiens. Malgré tous ses efforts, l’ancien soldat tamoul ne peut supporter ce qu’il voit se dérouler sous ses yeux et, soucieux de préserver sa nouvelle vie déjà suffisamment fragile, il va reprendre ses instincts de soldat pour faire régner la paix dans le quartier. Le hasard m’a amené à regarder ce film de Jacques Audiard quelques jours seulement après avoir vu « Un prophète » et une fois de plus je n’ai pas été déçu. Le grand Audiard nous propose ici une oeuvre qui nous scotche littéralement au fond de notre fauteuil. Cette histoire singulière, âpre et noire nous plonge cette fois-ci dans l’univers implacable de la banlieue, des étrangers clandestins, de la violence, de la drogue mais aussi de l’humanité qui transparaît chez ses êtres que la société laisse souvent sur le bord du chemin. Au risque de me répéter encore, la palme d’or obtenue à Cannes avec ce film n’est pas du tout usurpée. Enfin, un coup de chapeau aux interprètes qui sont quasiment tous non professionnels. Plus d’information sur Allociné.
- L’homme irrationnel. 😀 Un brin dépressif et parfaitement désabusé, Abe Lucas est professeur de philosophie. C’est ainsi qu’il débarque dans l’université d’une petite ville où il va tout d’abord tromper son ennui avec Rita, une collègue qui se sent un peu délaissée par son mari. Mais c’est surtout avec Jill, une brillante étudiante de sa classe, qu’il va entamer une relation amicale et intellectuelle significative. La jeune fille est fascinée par ce professeur totalement atypique, au comportement fantasque et au caractère torturé. Elle va même finir par en tomber amoureuse bien que, de son côté, il fasse tout pour que leur relation n’aille pas au-delà de la pure amitié. C’est alors qu’au hasard d’une rencontre dans un salon de thé, provenant de la table voisine, ils surprennent une conversation dans laquelle il est question d’un juge un peu trop partial qui aurait pris une décision injuste à l’égard d’une personne. Cet événement a priori insignifiant les scandalise l’un comme l’autre mais, pour Abe, cela ira plus loin et va le faire renouer avec l’envie d’agir. Il va ainsi redonner un sens à sa vie en se fixant pour objectif de faire disparaître ce juge. Pour cela il échafaude un scénario particulièrement scabreux tout en étant parfaitement rationnel. Le meurtre étant accompli, la suite ne va pourtant pas se dérouler comme prévu et un grain de sable inattendu grippera la mécanique du crime parfait qu’il pensait avoir élaborée. De tous les films de Woody Allen, celui-ci est à mon avis l’un des meilleurs que j’ai pu voir. On y retrouve le même registre de la fable à la fois sombre, morale et cynique, que l’on avait pu déjà apprécier avec l’excellent « Match Point » que j’avais déjà eu l’occasion d’évoquer dans une autre chronique. Pas de doute, c’est un grand cru de l’oeuvre de Woody Allen qu’il faut absolument voir, et certainement revoir. Enfin, pour évoquer les acteurs, on ne peut qu’applaudir le couple constitué de Joaquin Phoenix et Emma Stone, le premier avec cette dégaine improbable et l’autre, belle à tomber, avec son allure ingénue qui cache un caractère bien trempé. Plus d’information sur Allociné.
- Nous trois ou rien. 🙂 Hibat et Fereshteh sont de jeunes gens de la classe moyenne iranienne, promis à un bel avenir sous le régime du Shah, ils en contestent toutefois le régime. L’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini ne va guère changer leur vision de la démocratie et, après avoir subi à nouveau la torture et la prison, ils décident de fuir vers la France en 1984. Dotés d’une détermination sans faille, ils entament, avec leur fils âgé de seulement quelques mois, un périple incroyablement périlleux au travers les montagnes tout en laissant, à des milliers de kilomètre derrière eux, leurs parents respectifs. C’est ainsi qu’ils arrivent à Stains, ville de banlieue de Seine Saint Denis. D’un naturel plutôt optimiste la famille va tout faire pour s’intégrer rapidement dans cette société populaire de banlieue, y compris en s’impliquant de plus en plus dans la vie associative dont ils vont devenir des figures emblématiques. Dans ce film, le comédien et humoriste Kheiron raconte la véritable histoire de ses parents, interprétés par lui-même et par Leila Bekhti. Voilà un film qui fait du bien, une gentille fable humaniste qui montre que l’amour familial, la détermination et l’optimisme peuvent ensemble aboutir à de telles « success story ». Et quand on sait que tout ceci est inspiré d’une histoire vécue, on en sort encore plus convaincu qu’il faut arrêter de se recroqueviller sans cesse sur nous-mêmes avec la crainte de l’autre, et surtout s’il est étranger. Tout ceci est raconté avec, à la fois, gravité et humour. Les scènes dramatiques sont ponctuées d’autres où l’on rit beaucoup. Pour leur part, les acteurs sont tous épatants tellement ils semblent impliqués dans la narration de cette histoire. Outre Kheiron et Leila Bekhti auxquels on croit très fort, n’oublions pas les parents interprétés tout en finesse par une Zabou Breitman et un Gérard Darmon très touchants. Plus d’information sur Allociné.
- Le pont des espions. 🙂 En pleine guerre froide, aux Etats Unis, un espion à la solde de l’union soviétique vient d’être appréhendé. Pour le traitement officiel de l’affaire en justice, il faut que l’administration lui trouve un défenseur afin de donner l’apparence d’un procès équitable. C’est James Donovan, un avocat de Brooklyn, qui sera désigné. Un peu à contre-courant, et par fidélité à l’éthique de son métier, Donovan va prendre son rôle très au sérieux dans la défense de Rudolf Abel dont il arrivera à obtenir la confiance et même la sympathie. Conjointement, l’Amérique continue à espionner l’URSS au moyen de ses avions U2. C’est alors qu’un de ces appareils est abattu par l’armée soviétique et son pilote contraint de s’éjecter, et immédiatement fait prisonnier. Commence alors, avec le jeu complexe de multiples intermédiaires, une longue phase de négociation entre l’Amérique et l’URSS afin d’obtenir sa libération. Parmi les clefs de la solution, un échange du pilote contre Rudolf Abel semble être un scénario possible mais, pour cela, il faut un intermédiaire neutre et c’est une fois encore James Donovan que nous allons suivre dans cette difficile mission en Allemagne, et plus précisément à Berlin, des deux côtés du mur. Ce film de Steven Spielberg est inspiré de faits réels avec semble-t-il quelques libertés mais tout en conservant l’essentiel des faits. C’est un très bon thriller, et au demeurant aussi un bon rappel d’histoire contemporaine. On regrettera malgré tout quelques petites longueurs mais qui expliquent aussi l’extrême complexité des négociations. Au final donc un bon film à voir sans réserve, même s’il ne s’agit certainement pas d’une des œuvres majeures de Spielberg. A noter enfin que tout ceci tient, pour une large part, à l’interprétation « aux petits oignons » de Tom Hanks dans le rôle de Donovan. Plus d’information sur Allociné.